(Test Blu-ray) J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin

Sensation animée de l’année 2019, du festival d’animation d’Annecy jusqu’aux Oscars où le film sera finalement reparti bredouille face à la victoire peu surprenante de Toy Story 4 des studios Pixar, J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin est sur toutes les lèvres des fans de cinéma d’animation. Récit onirique au possible, le premier long-métrage animé de son réalisateur est parfaitement émouvant et propose enfin un brin d’originalité dans un monde animé tendu vers l’uniformité. Point d’enfantillages ici-bas ou de récits historiques dénonçant un quelconque régime en place (comme c’est trop souvent le cas dans les films animés destinés aux plus grands) : cette fois-ci, l’animation se révèle être une quête de sens qui en touchera plus d’un.

Résumé : A Paris, Naoufel tombe amoureux de Gabrielle. Un peu plus loin dans la ville, une main coupée s’échappe d’un labo, bien décidée à retrouver son corps. S’engage alors une cavale vertigineuse à travers la ville, semée d’embûches et des souvenirs de sa vie jusqu’au terrible accident. Naoufel, la main, Gabrielle, tous trois retrouveront, d’une façon poétique et inattendue, le fil de leur histoire...

(c) Xilam Animation

Passé, présent, rêve et réalité cohabitent dans ce long-métrage atypique qui fait du bien dans le paysage animé français. Les studios Xilam (à qui l’on doit Oggy et les cafards entre autres univers animés) ont fait le choix de la rotoscopie pour conter les destins étrangement liés d’une main, d’un jeune livreur de pizza et d’une bibliothécaire. Auréolant un scénario subtil, bien que prévisible (mais est-ce là le plus important?), l’animation trouve son intérêt dans les instants de poésie disséminés au fil du récit. L’apparat graphique n’est pas le plus grandiloquent qui soit mais il sait s’adapter aux situations contées : qu’il s’agisse de scènes romantiques ou de scènes plus effrayantes au cours du périple de la main esseulée, la réalisation est toujours soigneusement au service de ce qui est montré. En variant les genres, J’ai perdu mon corps maintient constamment l’intérêt du spectateur en faisant appel à tous ses sens.

Véritable ode aux réminiscences de l’enfance, le film de Jérémy Clapin privilégie les ressorts sensitifs aux péripéties narratives des scénarios classiques. Après tout, l’un des personnages principaux n’est-il pas une main dont le rapport au monde est avant tout tactile ? En découle alors une focalisation fascinante sur les différents sens au fil du film par le biais notamment de Naoufel, personnage principal émotif et attiré par le son et ses effets. D’ailleurs, la première rencontre des amants au centre du film est vocale (à travers un interphone d’immeuble) et fait du film un bel univers plein d’attentions où la facilité n’est jamais privilégiée. Mieux encore, l’équipe créative semble constamment déjouer les inférences des spectateurs en choisissant des raccords inattendus entre les plans (on pense à la balle et le chien dont le maître est finalement aveugle ou bien la scène du métro au cours de laquelle Naoufel reste en retrait alors qu’on l’imaginait rejoindre Gabrielle).

(c) Xilam Animation

A l’amour de l’infiniment petit de Naoufel (lorsqu’il est enfant, il aime à enregistrer les sons du quotidien avec un magnétophone, cet objet étant le véritable enjeu cathartique du film) répond le personnage symbolique de la mouche. Personnage à part entière puisqu’il intervient sur le destin des personnages principaux (Naoufel et la main, qui a sa propre aventure), elle métabolise à merveille les métaphores qui abondent dans le film (sans le surcharger). Grâce à sa fin ouverte et ses considérations quasi philosophiques, J’ai perdu mon corps atteint des sommets d’autant plus qu’il profite d’une partition musicale de grande qualité pour pouvoir toucher du doigt la poésie du monde.

Au final, J’ai perdu mon corps mérite amplement toutes les louanges dont il fait l’objet depuis plusieurs mois. Avec originalité et intelligence, Jérémy Clapin propose une aventure sentimentale pleine de charme qui en fera vibrer plus d’un. Quel bonheur alors de savoir que le film est diffusé sur Netflix au sein de plusieurs marchés internationaux puisque c’est l’assurance qu’il sera vu par beaucoup de gens ! Même s’il est préférable de découvrir le film sur grand écran, il aura au moins le mérite d’être mondialement connu et quelle belle vitrine pour l’animation made in France !

(c) Xilam Animation

EDITION VIDEO

Le distributeur Sony Pictures France nous a fait parvenir l’édition Blu-ray du film (il sera également disponible en DVD), copie qui a été visionnée sur un écran OLED 4K.

Image & son : une édition haute-définition qui rend bien justice au film et aux graphismes atypiques. Toutefois, les contrastes ne sont pas aussi appuyées qu’ils auraient pu l’être, ce qui est d’autant plus flagrant lorsque les scènes contrastées s’enchaînent quand il est question de flash-backs sur l’enfance de Naoufel. Evidemment, l’on aurait aimé avoir une plus grande précision visuelle pour apprécier davantage le travail rotoscopique du film.

Du côté du son, deux pistes DTS-HD Master Audio 5.1 ou 2.0 sont proposées avec également une alternative en audio description. Il n’en fallait pas moins pour profiter du film et sa partition musicale incroyable signée Dan Levy.

Interactivités : un making-of et la bande-annonce du film composent cette galette haute-définition un peu sommaire qui peut toutefois compter sur son bonus principal pour nous enchanter.

Making-of : un bonus de 31 minutes avec l’intervention du réalisateur, du producteur et de l’auteur du livre dont le film est l’adaptation libre. Les doubleurs prennent également la parole.

La vidéo insiste notamment sur le temps que Jérémy Clapin a eu pour mûrir le film dans son esprit ce qui lui a permis de bâtir une narration ciselée qu’on ne peut que saluer dans le film.

Pour le reste, tous les attendus d’une vidéo sur les coulisses d’un film animé sont au rendez-vous : des animatiques, des story-boards, la présence de séquences de création de l’animation, un focus sur le logiciel d’animation (Blender), le travail sur les personnages principaux et leurs trajectoires respectives, la musique essentiellement mystique, la réflexion sur les points de vue du film et notamment la subjectivité de la main. A noter que les bruitages sont également abordés de même que le sound design (ce qui est assez rare sur les bonus vidéos). Enfin, des images de la projection du film au festival d’animation d’Annecy parachèvent ce beau bonus !

En somme, il s’agit d’un vrai making-of qui prend son temps pour présenter ce qu’il a à dire sans viser seulement la promotion du film. Et comme toujours, on en redemande !

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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