(Critique) Ailleurs de Gints Zilbalodis

Parfois, les plus petites équipes peuvent donner vie à l’une des œuvres les plus fascinantes du grand écran. Gints Zilbalodis l’a bien compris en créant lui-même, de A à Z, son premier long-métrage en images de synthèse. Ailleurs est une proposition abstraite qui s’éloigne des carcans habituels du cinéma d’animation pour émerveiller les plus téméraires des spectateurs. L’aura philosophique de La Tortue Rouge de Mickaël de Witt n’est jamais loin, tout comme les inquiétudes écologiques propres au cinéma nippon hantent l’image du film letton, mais c’est surtout une aventure pleine de promesses qui révèle un talent à suivre au plus près. 

Résumé : Un jeune garçon se réveille suspendu à un arbre après un accident d’avion. Au loin une grande forme menaçante s’approche de lui. Pour la fuir il se réfugie à l’entrée d’une caverne où l’étrange forme ne parvient pas à le suivre. Dans cette caverne, le jeune homme trouve une carte et une moto qui le poussent à prendre la route pour essayer de rejoindre, de l’autre côté de l’île, le port et la civilisation.

(c) Gints Zilbalodis

Prix Contrechamp au Festival du film d’animation d’Annecy l’année dernière, Ailleurs (Away en version originale) du jeune réalisateur Gints Zilbalodis s’apprête enfin à faire voyager les spectateurs français. Méritant amplement sa récompense, le long-métrage letton est une odyssée onirique exempt de paroles pour mieux nous plonger dans son univers abstrait. Ode aux sens et à la liberté, cette dernière étant représentée sans grande originalité par d’innombrables vols d’oiseaux, le scénario invite à la légèreté d’âme. Fluidement mis en scène par une caméra virevoltante usant de zooms épurés dès la scène d’introduction nous rapprochant du personnage principal comme dans un songe, l’histoire d’un jeune garçon esseulé sur une île déserte fascine. Les séquences aux idées fortes s’amoncèlent au cours de la quête du jeune homme : qu’il s’agisse d’une fuite en moto surplombée par un vol d’oiseaux ou d’un lac miroir étincelant, l’onirisme est exacerbé par l’animation artisanale du film. 

Si elle peut parfois s’avérer limitée – pensons notamment aux mouvements un brin mécaniques de certains animaux ou du personnage principal – la palette graphique célèbre surtout les décors, au cœur du récit. Plus portée vers la poésie du monde que vers sa dimension réaliste, la production offre des scènes à l’inventivité folle. Film aérien et épris d’évasion (après tout, le personnage tient à fuir cette île sur laquelle son avion s’est écrasé), les personnages se mêlent souvent au ciel. Lorsque le personnage fait de la moto sur le lac-miroir, les nuages blancs se fondent dans l’eau figée tandis que l’avion du jeune accidenté traverse un espace constellé d’étoiles avant de chuter. Entre deux mondes, la terre et le ciel, l’aventurier s’affranchit des règles réalistes pour rejoindre sa destinée.

(c) Gints Zilbalodis

Paradoxalement minimaliste dans sa représentation du monde, la richesse du film n’est jamais loin de l’abstraction. Ailleurs nous emmène au loin sans passer par un schéma narratif commun : point d’éléments perturbateurs ou de péripéties exagérées, le parcours du personnage est une quête de soi au contact d’animaux mystérieux. Ce sont les lieux qui rythment le récit et non les actions imprévues si l’on en croit le chapitrage structurant le film : l’oasis interdite, le lac miroir, le puits aux rêves. Poursuivi par un mystérieux géant fait d’ombre, le jeune garçon entreprend une course contre la montre s’octroyant des pauses contemplatives. Le film prend le temps, peut-être le prend-il trop et laissera-t-il certains spectateurs sur le carreau, mais il le fait avec conscience. Pourtant, certaines séquences n’hésitent pas à se révéler haletantes, d’autant plus que la bande originale, également composée par un réalisateur qui sait décidément tout faire, accompagne avec emphase les scènes tonitruantes. Se refermant sur une scène conclusive pleine de promesses sous-jacentes, Ailleurs nous laisse songeur. 

Ailleurs, film onirique et aérien, laisse divaguer les espoirs d’un personnage épris de liberté. Quête invisible, rencontres insolites et chevauchées mécaniques et poétiques constituent l’incroyable parcours filmique de la première réalisation de Gints Zilbalodis. A découvrir d’urgence dans les salles françaises après son passage très remarqué au festival d’Annecy en juin 2019.

Et n’hésitez pas à lire notre interview du réalisateur qui vous éclairera davantage sur les tenants et les aboutissants d’un tel projet (elle sera mise en ligne le 14 septembre prochain) ! 

Critique rédigée par Nathan

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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