On le sait, les films d’animation ne se cantonnent pas à une seule lecture (sinon que ferions-nous ici?), encore moins lorsque ceux-ci proviennent des studios d’animation Pixar. Pourtant, malgré les nombreux éloges récoltés par les quelques longs-métrages composant la filmographie de ces studios, certains mal-aimés meurent en silence. Fort heureusement, les enfants ne s’y trompent pas et permettent la survie d’univers injustement délaissés par les spectateurs, oui vous l’aurez compris, notre sujet du jour n’est autre que Cars, quatre roues. Je vous entends d’ici : ne s’agit-il pas là du film le plus enfantin du studio à la lampe du bureau ? Ma réponse est non.
Ne se cantonnant pas à son simple rôle de léger divertissement techniquement irréprochable, le film de John Lasseter (premier fan d’une licence pressée parfois à mauvais escient) brille par son audace scénaristique. Audace car si le schéma narratif n’a rien d’extraordinaire – la quête d’un héros pour se retrouver humainement – il n’en demeure pas moins une véritable remise en cause du système de consommation américain. Critique implicite, quoi que certaines séquences ne laissent planer aucun doute, mais critique affirmée par le théâtre principal du long-métrage : la célèbre route 66. Abandonnée, esseulée et réduite au rêve de tout voyageur qui se respecte, cette route a été massacrée par les désirs de vitesse de l’Amérique en expansion. Cette critique historique se colore également d’une critique contemporaine, car si la route 66 n’est aujourd’hui plus qu’un espace touristique (symbole de l’évasion et de la liberté, on se souvient tous du très beau film Bagdad Café de Percy Aldon qui développait, par le biais d’un film live, les mêmes thématiques que Cars), elle fut hier le théâtre de la gloire américaine !
Cars est en effet original en ce qu’il propose une critique directe d’un fléau contemporain : l’individualisme. Si le choix de voitures comme être principaux de cette aventure est fort utile pour embrigader les jeunes garçons du monde entier, il ne cache en rien les véritables protagonistes du récit : les êtres humains (américains dans le cas présent, là ou le second volet diversifie les nationalités). Le souci de réalisme de Pixar atteint ici une précision inattendue car la société motorisée est le miroir parfait de notre société humaine (il n’est, de fait, pas rare d’y croiser des voitures/humains célèbres, ce que le deuxième long-métrage renforcera à outrance).
Ce postulat installé, il ne nous restait donc plus qu’à déchiffrer le message implicite du film, au-delà du simple message communautariste proposé par le métrage (Flash McQueen apprenant à ériger l’altruisme en fer de lance, au lieu de prôner l’égoïsme). Imaginons : le film de John Lasseter ne serait-il pas une critique de la société américaine (et son histoire) ?
Lorsque Flash McQueen atterrit à Radiator Springs, les plans ne laissent pas de doutes. L’alternance entre des plans succincts en mouvements (course du héros pour fuir un agent de police vieillissant) et des plans d’une longueur surprenante en images fixes (quelques habitants du village perdu fascinés par le feu orange persistant du seul carrefour de la ville abandonnée) est éloquente. En arrivant en ville, Flash McQueen pénètre dans une des rares places aux USA ou le temps est métaphoriquement suspendu (subtil jeu sur le feu orange clignotant), place dans laquelle il s’épanouira enfin humainement (oui ce sont des voitures, mais vous avez compris le parallèle!). L’exploit laisse place à la contemplation et aux émotions – si McQueen entreprend une course dans le désert californien dans le second tiers du film, c’est pour mieux appréhender la Porsche de ses rêves et contempler l’espace désertique de cet univers, délaissé par les américains. En 2006, alors que Cars connaît un joli succès sur les écrans du monde entier, les blockbusters rendent accrocs les familles américaines aux salles obscures (le summum du blockbuster prônant le trop-plein de tout arrivant une petite année après, Transformers par Michael Bay). En ce sens, Cars est le contre-blockbuster parfait tant il s’éloigne des schémas conventionnels du film d’action : si l’univers est particulièrement masculin, et les scènes d’introduction et de conclusion riches en courses motorisées, le reste du métrage se focalise sur les personnages, faisant parfois fi de leur statut motorisé. Il ne serait pas improbable de comprendre les différentes scènes entre ces voitures humanisées comme des discussions d’êtres humains on ne peut plus désabusés par les ravages de l’Amérique évoluée.
Si l’on pourrait douter de la véracité d’une telle hypothèse interprétative, il suffit d’observer l’affiche internationale du film (voir image ci-dessus) : au-dessus des personnages, à l’arrière-plan trônent des montagnes inspirées d’une œuvre d’art anti-conformiste présente sur la route 66, « le Cadillac Ranch » (dix épaves d’automobiles de marque Cadillac plantées dans le sol, métaphore on ne peut plus éloquente du déclin de la société de consommation américaine dans les années 70, voir image ci-dessous). Oeuvre d’art critique, elle trône fièrement tout au long du film au-dessus de la ville de Radiator Springs, telle une égérie de l’anti-américanisme. De la même façon, les habitants de la ville prônent les solutions alternatives, comme si le scénario invitait à élargir son champ de vision aux possibilités de la vie. Ainsi, Filmore, van Wolkswagen à l’allure hippie propose une essence bio qui permettra au héros de réussir sa course (une coïncidence?).
Véritable réflexion sur l’ailleurs, sur le vaste champ des possibles, Cars est un des meilleurs longs-métrages animés de ces dernières années. Si vous en doutez encore, redécouvrez-le au plus vite en ayant en tête les nombreuses portes ouvertes générées par le film. On pourrait regretter le final en forme de « réalité imaginaire », dans lequel la route 66 regagne les lettres de noblesse qui faisaient d’elle la route la plus empruntée avant l’expansion du pays, mais il s’agit forcément là d’un happy end attendu, allant de pair avec la prise de conscience du héros de l’intrigue. Mieux encore, on pourrait y voir ici un optimisme. Optimisme désuet, mais optimisme bienvenu d’une équipe touchée par le sort d’un monument de l’Amérique.
Alliant à la perfection cadre intimiste et scénarios grands publics, les films d’animation Pixar savent créer l’événement à chaque sortie, même lorsque l’un d’eux déçoit au premier abord mais se révèle après tout aussi riche, si ce n’est plus, que ses comparses. Cars, ou l’Amérique d’hier qui doit être admirée pour renforcer celle d’aujourd’hui. Seul regret à cette formidable réussite : l’existence d’une suite ô combien palpitante, mais allant à l’encontre du message plein de sérénité promulgué par l’aventure originelle.
1 comments On [Analyse] Cars, éloge du temps suspendu.
Très bon texte qui donne envie d’en lire plus ! Vivement le prochain numéro !