(Critique) Abominable de Jill Culton & Tom Wilderman

Dire que les studios DreamWorks Animation sont dans la tourmente serait un euphémisme. Qu’il est loin le temps des scores impressionnants au box-office de franchises appréciées. Avec la fin de la trilogie Dragons en juin dernier, les studios sont en quête de nouvelles histoires à raconter. Baby Boss n’avait rien d’une réussite inoubliable (malgré son score très honorable au box-office mondial) et Capitaine Superslip avait du mal à dépasser son simple statut de divertissement pour enfants survitaminé. On guettait alors avec attention le nouveau-né d’une co-production avec Pearl Studio : Abominable. Force est de constater que l’on retrouve indéniablement l’efficacité de studios hier encore bien installés. Une aventure poétique qui ne réinvente jamais des codes narratifs déjà usités par les studios au pêcheur sur lune : une production charmante qui redonne pourtant confiance.

Synopsis : Tout commence sur le toit d’un immeuble à Shanghai, avec l’improbable rencontre d’une jeune adolescente, l’intrépide Yi, avec un jeune Yeti. La jeune fille et ses amis Jin et Peng vont tenter de ramener chez lui celui qu’ils appellent désormais Everest, leur nouvel et étrange ami, afin qu’il puisse retrouver sa famille sur le toit du monde. Mais pour accomplir cette mission, notre trio de choc va devoir mener une course effrénée contre Burnish, un homme puissant qui a bien l’intention de capturer la créature car elle ressemble comme deux gouttes d’eau à celle qu’il avait fortuitement rencontrée quand il était enfant.

Quoi de mieux qu’une amitié inattendue entre une jeune fille en deuil et un être extraordinaire pour retrouver l’amour du public ? En reprenant sensiblement les mêmes ressorts originels que le premier film Dragons des mêmes studios (nous ne sommes pas loin de la relation entre Harold et son dragon attachant), Jill Culton s’assure de toucher le plus grand nombre. Évidemment, l’originalité scénaristique n’est pas le maître mot de cette entreprise internationale mais le récit se construit avec sincérité : l’heure n’est plus à la quête de blagues incessantes et cela fait du bien. Tandis qu’un yéti aux pouvoirs charmeurs se terre sur un toit chinois pour échapper à une entreprise scientifique (originalité bonjour!), une jeune fille (Yi) tente de surmonter la perte de son père. Fort heureusement, sous ses airs d’aventure vue et revue, la production sino-américaine parvient à surprendre en prenant à revers certains ressorts attendus. A l’image de nombreux autres films animés, Abominable tient à rappeler aux plus jeunes que les méchants ne sont pas toujours ceux que l’on croit…

(c) DreamWorks Animation

Mais au-delà de sa trame narrative parfois un peu convenue, le film de Jill Culton et Todd Wilderman peut compter sur ses nombreux points forts pour s’affranchir de modèles trop visibles : son animation soignée et ses personnages très émouvants. On ne compte plus les idées visuelles qui flattent la rétine : qu’il s’agisse d’une course-poursuite rayonnante sur une « mer de fleurs » ou l’onirisme de séquences contemplatives aux côtés des protagonistes : le spectateur en a pour son argent. La modélisation des personnages est parfois perfectible, et l’on sent bien que les budgets d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier au cœur des studios DreamWorks Animation, mais l’ensemble ravit et la mise en scène enjolive les séquences parfois plus anecdotiques. Quête de soi ou quête de sens, Abominable sait s’emparer d’instants poétiques pour faire grandir ses jeunes personnages principaux. Après tout, Everest n’est qu’un enfant !

Par ailleurs, même si ce yéti hors-normes est drôlement curieux et puissant, il ne rivalise jamais avec l’attachement immédiat de Krokmou avec lequel les similitudes sont nombreuses. Mais cette comparaison n’est pas un mal car l’émotion provient surtout des personnages humains. Il faut regarder du côté des interactions entre la jeune Yi et sa famille pour toucher du doigt la force sentimentale du long-métrage plutôt que du côté d’un dénouement attendu (et maintes fois mis en scène au cinéma, de la saga Dragons au mal-aimé Voyage d’Arlo des studios Pixar). En contant l’art d’affronter la perte d’un être cher en se rapprochant des êtres encore présents, Abominable s’offre un propos universel qui saura plaire à tous les publics du film même si l’humour tend à combler surtout les plus jeunes des spectateurs (Peng, le jeune basketteur, est directement écrit pour les enfants). Film à l’âme sincèrement touchante, le petit dernier des studios DreamWorks Animation est une vraie surprise qui réchauffe nos coeurs en ces temps tourmentés.

(c) DreamWorks Animation

Au final, Abominable est un signal d’espoir pour des studios en perte de vitesse (même si Dragons 3 était puissant il n’arrivait jamais à reproduire l’excellence du précédent opus). Aux côtés des studios chinois Pearl, l’équipe créative de DreamWorks Animation rassure vraiment sur son potentiel narratif. A mille lieux des bouffonneries de Capitaine Superslip ou de Baby Boss, Abominable est une féerie quelque peu conventionnelle qui ravira tous les publics. Bien que le statut de chef d’oeuvre octroyé au magnifique Cinq Légendes est encore loin, la mention très satisfaisante est hautement méritée pour cet incroyable yéti !

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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