Adapter la vie et l’oeuvre d’un dessinateur si torturé que Yoshihiro Tatsumi pouvait relever du véritable casse-gueule, d’autant plus lorsqu’il s’agissait de le faire par le biais d’un film d’animation sensé respecter l’art graphique du célèbre mankaga. Pourtant, Eric Khoo y parvient avec brio en évinçant toutefois toutes ses chances de réellement pouvoir exprimer sa propre esthétique au profit du magnifique hommage qu’il fait de Tatsumi.
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Fait étonnant, le long-métrage n’est pas réellement une biographie de Tatsumi dans le sens ou on l’entend communément puisque le film se concentre surtout sur son oeuvre, révélatrice de ses angoisses et de son intention créative. C’est ainsi que l’on découvre, ou redécouvre, cinq récits animés particulièrement sombres qui contrastent avec l’animation pour enfants refusée par Tatsumi dès son plus jeune âge. Magnifique travail d’adaptation, on peut véritablement parler d’un long-métrage très fidèle qui en oublie pourtant d’être un réel film à part entière, privilégiant le respect total du travail graphique dont il parle. Nous avons donc à faire aux mangas de l’artiste en film, avec pour seuls ajouts des bribes de vie de celui-ci qui sont assez éphémères. Fort heureusement, le manque d’infiltration d’Eric Khoo dans son sujet pour ne pas trahir l’oeuvre de Tatsumi n’empêche pas le métrage de briller par son excellence narrative et sa subtilité graphique. Faisant évoluer la figure de l’artiste en même temps que l’évolution du Japon de l’après-guerre qui se reconstruit petit à petit en apparence, Eric Khoo assimile le travail artistique du mangaka aux parts d’ombres du Japon.
Au destin tragique d’un ouvrier ayant pour seul ami un singe dont il doit se séparer dans un ultime soubresaut d’instinct de survie se succède la vie désabusée d’un jeune artiste n’ayant pour simple espace d’expression que les murs d’un WC glauque à souhait : voilà en une phrase le monde difficile, le Japon dissimulé par les élans de croissance économique d’après-guerre que Tatsumi tend à révéler par le biais de son art. En entrecoupant ces histoires pessimistes par des réflexions de Tatsumi sur son pays en voix off, le réalisateur confronte le créateur à sa propre création pour en retirer les plus indicibles enjeux avec efficacité. Moins un film d’animation qu’une mise en mouvement de cases dessinées, Tatsumi est difficile d’accès de part ses scènes majoritairement violentes et pessimistes mais également à cause d’un traitement narratif elliptique donnant de l’importance aux petits récits plutôt qu’à l’intrigue principale, le destin de Tatsumi. Pourtant, cela participe à la réussite du film qui parvient à construire le portrait d’un homme par le biais de sa création, preuve du réel savoir-faire de l’auteur contemplé.
Image
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Très belle édition DVD que voilà, jouant sur les différentes ambiances du film passant des décors dévastés de l’après-Hiroshima avec une belle palette de couleurs sombres avant de rejoindre la vie créatrice de Tatsumi grâce à des tons bien plus colorées. On regrette le manque de précision sur quelques décors mais gageons que la version HD du film corrige sans aucun doute ce petit bémol relatif.
Son
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Une belle retranscription sonore opérée par l’éditeur vidéo CTV International même si le film ne se prête pas franchement aux effluves d’ambiances sonores. Proposant au choix du DTS 5.1 ou du Dolby Digital 5.1, l’édition DVD de Tatsumi s’offre un écrin convenable et efficace qui ne restera pas dans les mémoires sans pour autant avoir à rougir grâce à l’apport d’une transcription propre.
Interactivité
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Intéressant contenu que voilà puisqu’aux côtés de la traditionnelle bande-annonce du film souvent simple bonus des éditions DVDs, nous retrouvons un making-of d’une quarantaine de minutes très émouvant à défaut d’être techniquement riche en détails. Tatsumi, l’objet du long-métrage, étant encore parmi nous, son interview entrecoupe plusieurs featurettes sur la création du film qui s’attardent un peu trop sur le doublage des nombreux personnages mais dont on retient surtout l’émotion inhérente à cet artiste en fin de « vie » comme il le dit. Qui mieux que l’artiste en personne pour nous délivrer les moindres parcelles de son intention ? Bonus à l’intérêt conséquent, il ravira les fans du dessinateur mais aussi les néophytes dont nous faisons partis pour en apprendre plus sur cet auteur de mangas pour adultes.
En conclusion, Tatsumi se doit d’être vu non pas parce qu’il est brillant en tant que film mais en tant qu’hommage à l’oeuvre presque oubliée d’un amoureux du dessin retranscrivant le monde et plus particulièrement le Japon dans lequel il vieillit. Admirablement bien respecté par Eric Khoo, le travail de Yoshihiro Tatsumi s’anime, pour notre plus grand plaisir au coeur d’une édition DVD convenable mais surtout riche en émotions.