(Critique) Les 4 âmes du coyote d’Aron Gauder

Les pépites de la sélection du festival d’animation d’Annecy édition 2023 exigent parfois de la patience pour s’offrir aux regards des spectateurs français, Les 4 âmes du coyote est de celles-là. Débarquant enfin dans les salles françaises le 15 mai prochain (après un ultime report), le long-métrage d’Aron Gauder est un récit animiste dénonçant la rupture de l’Homme et du vivant. Un film plus complexe qu’il n’y paraît, où la philosophie signe l’espoir d’une harmonie retrouvée et dans lequel l’animation 2D embrasse des mythes fondateurs que l’on prend plaisir à (re)découvrir de nos regards européens. Décidément, cette année 2024 comporte son lot de belles surprises ! 

Résumé : Des activistes amérindiens s’opposent à un projet d’oléoduc sur leur territoire ancestral. Le soir autour du feu, ils se réunissent autour de leur Grand-Père qui leur fait le récit de la Création. Le conte rappelle à tous la place de l’Homme sur la Terre et son rôle dans la destruction de la nature.

(c) Eurozoom

Tout commence par l’arrivée de magnats de la finance sur une terre à exploiter, se confrontant à des autochtones épris de traditions. Deux mondes s’opposent alors : celui d’un respect de la Terre, et celui d’une exploitation financière de celle qui nous héberge. Ce récit encadrant laisse rapidement place à l’histoire originelle de notre monde, dans les mots d’un amérindien vieillissant. Un kaléidoscope envahit alors l’écran et nous accueille avec philosophie dans les prémisses de notre monde, et de notre Humanité. Un homme, indéfinissable, échange avec un canard au beau milieu d’un océan composant le seul décor du monde balbutiant. Les deux êtres bavardent et l’origine de notre Terre se pave d’animaux personnifiés, au premier rang desquels on retrouve le coyote donnant son titre, et ses enjeux, au long-métrage. 

Un coyote à la malignité saillante, parcourant la naissance de ce monde dans les dires du chaman. Les 4 âmes du coyote est littéralement un rêve éveillé dans lequel l’onirisme requiert toute l’attention de ses spectateurs, le monde étant en construction sous nos yeux. Les hommes et les femmes, les animaux, les paysages : la Terre telle que nous la connaissons est modelée par les premiers êtres. Le film réinvente alors les mythes les plus ancrés dans nos esprits, comme celui d’Adam et Eve (dans une courte séquence singeant les papiers découpés), y compris dans ses aspects les plus sombres. Tour à tour créateur et meurtrier, le coyote donne vie aux premiers Hommes mais massacre aussi des êtres vivants (en l’occurrence, des canards) pour arriver à ses fins. Porteur d’espoir, puis porteur de mort lorsqu’il introduit les armes à feu dans les pays européens – ces mêmes armes qui permettront aux peuples du vieux continent de massacrer les autochtones de l’Amérique naissante – le coyote est à l’image du film : non manichéen. 

(c) Eurozoom

Se pose alors la question des émotions, dans un récit fait d’ellipses narratives et géographiques au gré des progressions des protagonistes fondateurs du film. S’il est difficile de s’attacher aux personnages, le long-métrage n’en demeure pas moins fascinant puisqu’il joue sous nos yeux une partition métaphysique pleine de sens. Même si ces repères temporels (et spatiaux) vacillant risquent de compromettre l’attention du jeune public, l’animation 2D, joliment stylisée, emporte notre adhésion. Mieux encore, le scénario peut compter sur la figure centrale du coyote, figure insaisissable et fascinante, pour conquérir l’ensemble des générations. Et à vrai dire, l’animation sied à merveille à ces histoires de création et d’univers en formation.

Les 4 âmes du coyote est une oeuvre essentielle en ce qu’elle révèle de notre place dans le monde. En nous intimant à apprendre à composer avec chaque être vivant qui nous entoure, lors d’une assemblée des animaux pour vivre sur terre, le scénario nous invite à visualiser les 4 âmes du coyote au coeur du titre. Des âmes qui représentant des catégories essentielles du vivant… C’est en comprenant sa place dans « le grand cercle des vivants » (et non en l’asservissant) que les Hommes pourront retrouver l’harmonie si chère à la survivance de nos espèces. Et lorsque les Européens arrivent au coeur du Nouveau monde et qu’ils massacrent les bisons (pour soumettre les autochtones), la rupture est inévitable…

(c) Eurozoom

Conclure sur un film tel que celui d’Aron Gauder n’a que peu de sens tant il cherche à ouvrir des portes vers l’avenir de l’humanité, un avenir plus conscient de son passé et de ses liens essentiels avec la nature. Nous invitant à chercher notre place dans le grand cercle des vivants, Les 4 âmes du coyote est une oeuvre fascinante. Plutôt récit fondateur qu’oeuvre lyrique, le film perd en émotion ce qu’il gagne en réflexions métaphysiques…

On se quittera donc sur la phrase qui parachève le film, tant elle porte en elle les vérités d’une oeuvre exigeante mais profondément nécessaire : « L’Homme n’a pas tissé la toile de la vie, il n’est qu’un fil de cette toile. Quoi qu’il fasse à la toile, il le fait à lui-même… » 

En salles le 15 mai prochain via Eurozoom.

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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