(Critique) Saules aveugles, femme endormie de Pierre Földes

Mettre des images sur l’imaginaire entre onirisme et réalité de Haruki Murakami relève du pari risqué, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un recueil de nouvelles à la poésie profondément énigmatique. Saules aveugles, femme endormie conte trois destinées implicitement reliées qui naissent au lendemain du funeste tremblement de terre, et du tsunami qui en a découlé, au Japon en mars 2011. Sans être une véritable adaptation du recueil en question, le film de Pierre Földes s’inspire d’histoires glanées au gré des nombreux ouvrages de l’auteur nippon. Si le titre du film est emprunté à l’une des nouvelles du recueil au même nom, le film est en vérité l’association prolifique de cinq histoires « murakamiennes ». Ce préambule en tête, nous sommes prêts à plonger tête la première dans ce long-métrage 2D à l’étrangeté fascinante qui s’ouvre aux interprétations…

Résumé : Un chat perdu, une grenouille géante volubile et un tsunami aident un attaché commercial sans ambition, sa femme frustrée et un comptable schizophrène à sauver Tokyo d’un tremblement de terre et à redonner un sens à leurs vies.

(c) Gebeka Films

Au contact d’évènements qui nous dépassent, nous reconsidérons parfois nos chemins de vie. Il en va ainsi de Kyokyo, obnubilée par les images télévisées des catastrophes japonaises, qui délaisse son conjoint Komura. Ce dernier s’engage alors dans une quête mystérieuse tandis que l’un de ses collègues de travail, Katagiri, rencontre une grenouille à taille humaine qui l’embarque dans un sauvetage héroïque… A partir de ces premières séquences d’exposition, le scénario s’engage dans le questionnement de l’existence de ces êtres imparfaits dans des couloirs dialogués. Exemple parmi tant d’autres, la première rencontre entre Katagiri et la grenouille qui se déploie avec étonnement, plongeant le film dans une dimension fantaisiste inattendue. Ces dialogues, colonne vertébrale du métrage, construisent les personnages mais aussi les fils philosophiques du récit dont le spectateur peut s’emparer.

Faisant la part belle aux plans fixes, au décors épurés et aux figurants fantomatiques, la mise en scène de Pierre Földes est une porte ouverte sur l’imagination de ses spectateurs. Egarés, nous avançons avec curiosité, comme Katigiri, appelé à sauver le Japon d’un nouveau séisme, et nous regardons ces figurants inconscients du nouveau danger qui les menace. Il est inévitablement question d’écologie en filigrane, avec l’allégorie du ver interne à notre Terre, réveillé par l’activité humaine qui ne cesse de se renforcer, mais le scénario n’impose jamais un point de vue unilatéral sur le monde. Au contraire, il nous invite à profiter de l’existence malgré les précipices qui nous menacent, à l’image d’une rencontre entre Komura et une jeune femme rousse, entre rêve et réalité.

(c) Gebeka Films

Au rythme des souvenirs et des rêves des personnages, les mystères s’épaississent, comme celui du chat évoquant un frère disparu, ou bien celui de la rencontre entre Kyokyo et l’un des clients de l’hôtel dans lequel elle travaille. Les fans de l’oeuvre de Murakami apprécieront les clins d’oeil à ses œuvres, à l’image de l’évocation de l’oiseau à ressorts, au centre d’une nouvelle mais aussi d’un long roman de son auteur. Pour apprécier au mieux cette oeuvre exigeante, que ce soit sur le plan graphique ou narratif, l’important est de se laisser porter par les rêveries et les questionnements des personnages. Ne reste alors plus qu’à la caméra à prendre son envol dans un ultime plan symbolique pour nous laisser, pensifs, à la sortie de la salle.

Dès lors que vous savez où vous mettez les pieds, Saules aveugles, femme endormie vous ouvrira les portes d’un imaginaire insaisissable vous invitant au lâcher-prise. Enigmatique, drôlement étrange et esthétiquement intriguant, le film de Pierre Földes n’est comme aucun autre, au même titre que les écrits de Murakami. Vous en dire plus serait trop en dévoiler…

Rendez-vous le 22 mars en salles via Gebeka Films.

(c) Gebeka Films

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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