(Entretien) Davy Durand et son chien pourri

Tout d’abord, merci pour le temps que tu peux accorder à notre site ! Nous sommes très enthousiastes à l’idée de voir débarquer Chien Pourri sur grand écran, même s’il s’agit d’une compilation d’épisodes pensés pour la télévision. 

Pour commencer, pourrais-tu nous éclairer sur le parcours artistique qui t’a mené jusqu’au poste de réalisateur sur la série Chien Pourri ? Sur quelles productions as-tu travaillé auparavant ? 

Je suis animateur et storyboardeur depuis 2007. J’ai eu la chance de travailler sur Ernest et Célestine, Le grand méchant renard, Avril et le monde truqué, ou encore Adama.

J’ai alterné des périodes de travail sur des productions de longs métrages, et sur des formats plus courts. Cela m’a obligé à m’adapter. D’un coté, le travail sur les longs métrages est comme un trek en haute montagne. De l’autre, sur les formats très courts, c’est comme une course de vitesse et il faut aller droit au but. L’un et l’autre m’ont beaucoup appris, et m’ont nourri.

En parallèle de ce travail en studio, je n’ai eu de cesse de développer des courts métrages, des livres, des BDs .. C’était comme un besoin vital. Pour contre-balancer avec les contraintes en studio. Mes projets personnels sont comme une bulle d’air. 

Tout cela m’a progressivement amené à Chien Pourri

Pourquoi as-tu décidé de faire tes premiers pas en tant que réalisateur (d’une production importante) sur Chien Pourri ? Qu’est-ce qui t’a le plus attiré dans le quotidien pas si banal de ce chien naïf ? 

Je crois que depuis que j’ai commencé mon travail en studio, j’ai toujours eu envie de réaliser des choses. mais ce n’est pas moi qui ai décidé de travailler sur Chien Pourri. A vrai dire, je ne pensais pas réaliser une série un jour. L’idée est venue de Didier Brunner, qui a souhaité me mettre sur ce projet. J’ai dit oui sans vraiment réfléchir. Mais mon cerveau marche en deux temps… et c’est une fois que j’ai dit oui que j’ai commencé à cogiter : n’ayant quasiment jamais travaillé sur une série, je ne savais pas vraiment dans quoi je m’embarquais. Et entre réaliser des courts métrages de 2 minutes, et réaliser 10 heures de film … il y a un gouffre. L’ampleur de travail n’est pas la même et la gestion d’une équipe de 100 à 150 personnes, c’est un peu plus sport.

© Chien Pourri – 2020 – Folivari / Dandelooo / Panique / Pikkukala / Shelterprod / Corporació Catalana de Mitjans Audiovisuals, SA / RTBF (télévision belge)

La série est adaptée d’une série de livres chapeautée par Colas Gutman & Marc Boutavant. Quelles libertés as-tu prises avec le matériau d’origine (que je ne connais que trop peu) ? As-tu pu travailler avec l’auteur ? 

Adapter quelque chose est délicat. A la fois il faut être proche de l’origine, et à la fois il faut prendre ses libertés, pour se sentir comme chez soi. C’est en se sentant libre que l’on peut donner le meilleur de nous mêmes. 

Colas, qui a écrit les livres, nous a laissé les mains totalement libres par rapport aux histoires. Au sein de l’écriture, les personnages principaux sont restés les mêmes, il n’y avait pas beaucoup à y toucher. C’est surtout l’environnement que l’on a travaillé, ainsi que les personnages secondaires (il fallait avoir suffisamment de matière pour raconter 52 histoires.) On a gommé aussi un peu une dureté qu’il y avait dans les livres, pour faire ressortir davantage l’humour. L’idée était : si ce n’est pas drôle, ce n’est pas bon.

Marc, l’auteur graphique des livres, m’a montré les choses qui étaient importantes pour lui au sein même du dessin des personnages, puis il a vite laissé les choses vivre. Je me suis alors accaparé son dessin afin de mettre mon empreinte dedans. Un dessin libre, mais un peu plus structuré pour que l’on puisse le reproduire en animation. Puis le personnage a un peu évolué au fur et à mesure du passage des crayons de chaque personne de l’équipe.

Justement, sur le plan visuel, la reprise des designs originaux des personnages n’a-t-elle pas été un frein créatif ? 

L’un des gros enjeux était effectivement d’adapter le graphisme des livres en animation. 

Quand j’ai découvert les ouvrages, je me suis un peu gratté la tête, me demandant comment j’allais faire avec tous ces poils. Et en vérité, l’adaptation m’a paru assez spontanée. De mon côté, j’ai naturellement un trait lâché, et je cultive le naturel et la spontanéité du dessin. En incorporant cette notion dans le dessin de Chien Pourri, je crois que ça nous a permis d’écarter certaines difficultés. Si les poils tremblent un peu, ce n’est pas bien grave, cela rend l’ensemble plus vivant. C’est ainsi que les choses se sont montées. 

D’autre part, j’ai fait les premières recherches, mais par la suite de nombreuses personnes de l’équipe ont apporté leur ‘patte’. L’ensemble a évolué suivant les contraintes que l’on a rencontrées, liées aux logiciels utilisés, mais aussi aux quotas journaliers. Il a fallu trouver sans cesse des pirouettes pour pouvoir aller plus vite, sans pour autant perdre en qualité. Sacrée aventure…

Au-delà de l’inspiration graphique, le média cinématographique a apporté une plus-value non négligeable aux aventures du chien naïf : la mise en scène. Quels choix as-tu opéré avec ton équipe pour mettre en mouvement l’univers de Chien Pourri ? 

J’ai opté pour une mise en scène allant vers la simplicité, et la clarté.

J’ai composé les séquences comme si on était sur une scène de théâtre, tout se déroulant de gauche à droite, ou de droite à gauche.

J’ai alors aplani les perspectives dans les décors, et mis en avant les silhouettes fortes des personnages.

Cela pour plusieurs raisons : Tout d’abord et avant tout … j’aime quand c’est simple ! 

Mais aussi, cette simplicité concordait tout à fait avec les contraintes financières de la production.

Les quotas de la production étant élevés à tous les échelons, pour pouvoir faire quelque chose de qualitatif, j’ai essayé de gommer un maximum de choses complexes, afin que les personnes puissent se focaliser sur les intentions, l’humour et l’émotion.

© Chien Pourri – 2020 – Folivari / Dandelooo / Panique / Pikkukala / Shelterprod / Corporació Catalana de Mitjans Audiovisuals, SA / RTBF (télévision belge)

Vincent Patar & Stéphane Aubier sont également crédités à la tête du projet : comment s’est passée la collaboration avec eux ? A quelle échelle ont-ils participé à la création des épisodes ?

Vincent et Stéphane ont posé les bases de l’écriture de Chien Pourri, aux cotés de Jean Regnaud, qui a écrit la bible littéraire. Ils ont apporté leur humour absurde et leur folie en écrivant eux mêmes une dizaines de scénarios. Cela a posé un ton pour l’écriture de la série. 

Ils m’ont également épaulé sur la mise en scène des premiers épisodes avant de me lâcher dans la nature ! J’étais comme un chien fou ! 

La rencontre de Vincent et Stéphane avec la série a permis de partir un peu en tous sens. 

Au rang des collaborations, nous pourrions également aborder le casting vocal à l’office sur la série. Peux-tu nous en dire plus sur les doubleurs ?

A vrai dire, sur Chien pourri, il ne s’agissait pas de doublage. Il s’agissait ici de création de voix.

A partir du storyboard, et avant de former l’animatique, nous enregistrions l’ensemble des voix des épisodes. Les acteurs disposaient d’une série de dialogues (dial list), sans images, et nous élaborions leur jeu progressivement. Ayant fait déjà le storyboard, j’avais une idée tout à fait précise des intentions mais je venais sur le plateau avec l’envie que les acteurs déversent leur folie là-dedans. L’idée était que les acteurs s’amusent véritablement avec le texte, quitte à ce que l’on modifie le storyboard si une nouvelle idée prenait le pas. Disons que tout était organique, et le maître mot était : s’amuser. Si on se marrait vraiment sur le plateau, c’est que ça allait être bon.

Les acteurs étaient véritablement remarquables, et l’ambiance au sein de l’équipe était extraordinaire.  Céline Ronté, la directrice de plateau, a fait tellement pour la série …

La relation entre Chien pourri et Chaplapla est au centre des intrigues et leurs différences de caractère rythment les épisodes : dans la vie, tu es plus Chien pourri ou Chaplapla ? Pourquoi ? 

Je suis un chien pourri ! Nature, spontané, je suis parfois aussi peu réfléchi que lui, et j’oublie un peu tout, je suis une catastrophe … 

Chaplapla est posé et intelligent, cela ne me ressemble pas … mais Marc Boutavant pourrait être Chaplapla. 

Si tu ne pouvais choisir qu’un épisode de la saison 1, lequel serait-ce ? 

Pas facile, je trouve que beaucoup sont intéressants, de manière différentes, plus ou moins absurdes, ou touchants … En fait, on a exploré plein de facettes de l’univers au fur et à mesure de la série… 

Si il y en avait un…. J’hésite entre deux épisodes absurdes sur lesquels j’ai pu m’amuser avec la mise en scène : l’épisode 34 (La journée pas pourri de Chien Pourri) et le 44 (Les croquettes de Chaplapla)

L’épisode 07, Musichiens des rues est intéressant pour le travail sur la musique et le son…

Les épisodes 26 et 35 sont assez chouettes, comme cela se déroule dans les rêves de chien pourri…

Mais ce n’est pas facile de choisir un épisode… Je dirai que j’ai un ensemble d’épisodes préférés ? … ça peut fonctionner comme réponse ? (Assurément !)

Épisode 04 : « Le trésor de Chien Pourri »

Épisode 07 : « Musichiens des rues »

Épisode 21 : « Les piles de Chien Pourri »

Épisode 26 : « Chien Pourri cherche des moutons »

Épisode 34 : « La journée pas pourrie de Chien Pourri »

Épisode 35 : « Dans la tête de Chien Pourri »

Épisode 37 : « Le secret de Chien Pourri »

Épisode 44 : « Chien Pourri et les croquettes de Chaplapla »

Épisode 51 : « Chien Pourri et les sept nains »

© Chien Pourri – 2020 – Folivari / Dandelooo / Panique / Pikkukala / Shelterprod / Corporació Catalana de Mitjans Audiovisuals, SA / RTBF (télévision belge)

Étant donné qu’il est question d’épisodes préférés, comment ont été sélectionnés les cinq épisodes composant la compilation sortie en salles ? 

Les épisodes ont été choisis par Little KMBO, diffuseurs de Chien Pourri au Cinéma.

L’idée a été de regrouper les épisodes autour d’un thème, (ici, Paris), afin de tirer quelque chose de pédagogique pour les enfants.

Et oui, Chien Pourri est Pédagogique.

On le pense essentiellement drôle et absurde… En vérité, au-delà de l’humour, il y a beaucoup de notions et de réflexions à tirer de ces histoires. L’amitié, l’entraide, la simplicité, un brin d’écologie, etc …

Chien Pourri est une véritable critique sociale.

Quels sont tes futurs projets ? Une saison 2 est-elle envisageable pour Chien Pourri et ses amis ?

J’ai toujours beaucoup de projets en tête, mais ce qui occupe mon cerveau en cette fin d’année est la co-écriture d’un projet de long métrage avec un ami, et aussi un nouveau livre illustré en cours…

Au sujet d’une saison 2 de Chien Pourri, je ne sais pas trop, comme on vient de finir la saison 1, il faut reprendre son souffle après le marathon, et retrouver des idées… 

Mais j’ai lancé l’idée d’un projet de long métrage Chien Pourri aux producteurs… Qui sait ce que cela va devenir ? Cette période avec Chien Pourri aura vraiment été riche en tout cas.  

Pour finir, voudrais-tu dire quelque chose à nos lecteurs ? 

Je dirais : Allez voir des films au cinéma !!! Soutenons l’audiovisuel !

Après avoir traversé les grèves, puis la pandémie (en cours)… Tous les maillons de la production audiovisuelle vont être impactés dans les mois et années qui viennent. 
Sans compter les grands changements qui sont en train d’opérer dans la diffusion audiovisuelle, avec le développement des plateformes internet.
Le cinéma a d’autant plus besoin de ses spectateurs. C’est grâce au public que le cinéma va réussir à tenir, se transformer, et se relever !

Alors, allons voir des films au cinéma ! 

Merci pour tes réponses et nous souhaitons une belle carrière à l'(extra)ordinaire Chien Pourri !

Propos recueillis par Nathan en septembre 2020.  

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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