(Analyse) Ratatouille, ou la douce saveur de la nostalgie.

Chaque mois, je vous inviterai à nous replonger dans un film animé (tous studios confondus) à partir d’une thématique chère à mon cœur. L’occasion de (re)découvrir un film et de le considérer comme une porte ouverte vers d’autres belles réflexions.

Pour avancer, il faut se tourner vers le passé. C’est du moins ce que nous laisse à penser le long-métrage d’animation Ratatouille de Brad Bird, sorti en 2007 dans les cinémas du monde entier. Il n’est jamais question d’enlisement dans le passé, le spectre du chef Gusteau l’affirme d’ailleurs à Rémy en l’invitant à ne pas faire « une fixation sur le passé » au risque de ne jamais savoir « ce que l’avenir (lui) réserve », mais la page tournée ne doit pas empêcher de revenir sur les pages ayant précédé. D’autant plus que ces pages passées peuvent enrichir les pages en cours d’écriture (un propos méta qui rappelle l’influence de la firme aux grandes oreilles sur les studios Pixar). En assumant son héritage traditionnel, l’animation de synthèse affirme sa propre personnalité.

En ce sens, la pellicule fleure bon une capitale française rêvée, éloignée de toute nostalgie car les stéréotypes prédominent : on y roule principalement en 2CV ou en DS, comme dans les années 60, alors que le métrage prend de toute évidence place dans notre époque contemporaine, en témoignent certains autres véhicules (la moto très moderne de Colette ou la petite voiture de l’inspecteur d’hygiène) ou l’usage de laboratoires d’analyses d’ADN au cours d’une sous-intrigue. La télévision entraperçue en prologue est directement venue des années 60, mais elle se trouve dans la maison d’une femme âgée : difficile de se reposer sur ce critère donc pour légitimer l’époque de l’intrigue. L’on aura beau scruter les journaux lus par les personnages au fil de la pellicule, point de dates non plus. Ratatouille se joue dans un Paris moderne et symbolique, un Paris fantasmé.

D’ailleurs, la palette colorimétrique apporte ce je ne sais quoi d’instants passés qui fige le temps du film en automne, là où tout se joue avec chaleur et solennité. Point d’analyse alambiquée sur ce point puisque la directrice de la photographie, Sharon Calahan, affirme dans l’un des bonus vidéos du film : « Quand nous sommes allés à Paris, il y avait du soleil, mais la lumière était argentée et diffuse, tout paraissait doux, chaleureux et accueillant. Je voulais retrouver cela dans notre film. Le film n’est pas éclairé avec une lumière fortement colorée et des ombres franches comme c’est le cas d’ordinaire, parce que je voulais vraiment célébrer cette couleur particulière que l’on ne trouve qu’à Paris ». L’empreinte du cinéma de Jean-Pierre Jeunet n’est jamais loin, à base de teintes surannées/orangées, mais l’animation s’éloigne surtout drastiquement des colorations vives si empruntées par un genre cinématographique répondant trop souvent aux sirènes de l’hystérie esthétique – certains pensant à défaut que les enfants sont plus sensibles aux couleurs agressives. Moderne et dépassée, la palette visuelle du film de Brad Bird est une antithèse unique en son genre. Mettre les prouesses techniques au service d’une pellicule nostalgique : en voilà une belle idée qui fait du film un objet unique à contempler !

Mais la nostalgie va au-delà de l’apparat du film, Rémy étant passionné par un chef disparu, dont il ne connaît que les apparitions télévisées. Pour réussir dans un domaine, il faut apprendre auprès d’un mentor : la fiction permet évidemment au personnage de rencontrer son idole fantomatique. Recours narratif qui n’est pas sans rappeler la conscience métaphorique de Pinocchio d’Hamilton Luske et Ben Sharpsteen, ce personnage spectral permet de guider un personnage indécis qui ne cesse d’hésiter entre ce qu’il admire et ce qu’il pourrait faire. Les lignes narratives ne s’y trompent pas : Rémy est éternellement incertain dans ses choix à faire. Lorsqu’il pénètre par accident dans la cuisine de Gusteau en début de film, il cherche une fenêtre de sortie mais ne peut s’empêcher de faire marche arrière pour s’occuper de la soupe massacrée par Linguini. Quelques minutes après, alors que Linguini lui redonne sa liberté, il s’échappe en courant avant de se refréner : comme de nombreux autres personnages, Rémy agit par instinct mais revient rapidement sur ses décisions au regard de ce qu’il appris. Au détour d’une conversation avec son père, il espère même arriver à ne plus s’enliser dans le passé : « Avec un peu de chance, je vais de l’avant ».

Les modèles passés sont aussi tentateurs que riches en leçons. C’est en retirant les leçons du passé, que les personnages progressent dans l’intrigue : ceux qui oseraient s’enliser ne sauraient accéder à l’accomplissement tant désiré. En ce sens, Skinner, qui fait office de « vilain » dans le métrage, ne peut s’affirmer en se reposant exclusivement sur le chef l’ayant précédé : sa collection de produits surgelés lui rapporte de l’argent, mais elle ne lui permettra jamais d’être réellement lui-même.

Autre élément caractéristique dans une lecture nostalgique du film : le poids de l’héritage dans les intrigues. Évidemment, Rémy doit se soulever contre les attentes paternelles en refusant un rôle qui lui est arbitrairement donné (goûteur d’aliments pour ses congénères). Mais Linguini se voit aussi confier un héritage inattendu : dépourvu des qualités culinaires de son père dévoilé en cours d’intrigue, il doit s’affirmer d’une autre manière. En ouvrant le monde de la cuisine à un être qui n’y est pas invité, il fait preuve d’ouverture d’esprit et tourne son regard vers l’avenir. Pour lui, la cuisine est un partage de pratiques avant d’être une main-mise élitiste : de la même manière, Rémy n’envisage pas la cuisine comme une nécessité survivaliste mais comme une alliance artistique de saveurs appréciées. D’ailleurs, une vision personnelle du monde ne saurait être imposée : en témoignent les efforts qu’il fournit pour partager sa précision gustative à son frère, en vain. L’héritage ne saurait donc être imposable, dès lors qu’il intervient sur un être unique.

Les deux héros du film sont donc contraints de se soulever contre leur héritage respectif, sans le dénigrer. Il en va de même pour le titre phare du film, « Le festin », composé et chanté par Camille qui interprète également le rôle de Colette dans la version française : si la composition nous plonge explicitement dans des airs typiquement français et nostalgiques, le propos y est plus progressiste. Le refrain scande une ode à l’espoir : « Jamais on ne me dira que la course aux étoiles, ça n’est pas pour moi ».

Enfin, difficile d’aborder l’importance du souvenir dans le film sans revenir sur le cas d’Anton Ego, critique austère enlisé dans un souvenir oublié. La ratatouille qu’il déguste, et qui donne d’ailleurs son titre au film (les enfants appellent d’ailleurs Rémy « Ratatouille » par association d’idées), n’est pas seulement appréciée parce qu’elle est délicieuse mais surtout parce qu’elle provoque une réminiscence chez le personnage. Ce retour en arrière permettra au critique de renouer avec sa vie : en oubliant ce qu’il a été lors de son enfance, il s’était enfermé dans un destin sombre qui ne lui convenait pas, sans qu’il s’en rende compte (la pièce mortuaire – en forme de cercueil – et les objets la composant, dans laquelle il écrit est explicite et les analyses à ce sujet abondent). Par ailleurs, Ego cherche une « idée neuve » lorsqu’il se rend chez Gusteau pour rendre sa critique, mais il se surprend à fondre pour un plat ô combien traditionnel. De là à penser que la nouveauté peut rimer avec ancienneté, il n’y a qu’un pas. Reste à « moderniser » le passé pour l’agrémenter d’une touche originale.

En ce sens, les différents cuisiniers relégués aux seconds rôles dans la cuisine de chez Gusteau vont de l’avant, sans en oublier leur passé. La séquence au cours de laquelle Colette raconte à Linguini le background de chacun est éloquente : les passés troubles n’empêchent pas d’avancer – le chef usera d’ailleurs de son « pouce terrible » lors du face à face avec l’inspecteur. Ratatouille tient finalement à nous dire que chaque être est unique et qu’il doit composer avec un héritage/passé dévoilé contraint.

En conclusion, si une conclusion est réellement possible, Ratatouille est un film brillant car les personnages s’acceptent en accueillant à bras ouverts leurs passés respectifs. En mettant leur grain de sel dans le passé, ils progressent. Aujourd’hui encore, le film de Brad Bird est l’une des plus grandes réussites des studios Pixar parce qu’il reste unique en son genre. Chaleureusement nostalgique d’un Paris qui n’a pourtant jamais vraiment existé, il invite à l’ambition pour dépasser les apparences enlisant l’humain dans des carcans futiles. « Tout le monde peut cuisinier » affirme Gusteau dans ses apparitions télévisées, mais le film va encore plus loin en nous rappelant que « tout le monde peut vivre sa vie » sans plier le dos face au poids d’un héritage fatidique. Une fable définitivement optimiste !

Pour finir, que diriez-vous de mettre, vous aussi, votre grain de sel dans mon analyse ? Ça se passe dans les commentaires ;)

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

5 comments On (Analyse) Ratatouille, ou la douce saveur de la nostalgie.

  • “Les gens pensent que l’animation c’est juste des personnages qui dansant et font beaucoup de postures théâtrales, mais l’animation n’est pas un genre. Et les gens continuent de parler de l’animation comme un genre. Ce n’est pas un genre ! Un Western est un genre ! L’animation c’est une forme d’art avec lequel on peut faire n’importe quel genre. Vous savez, on peut faire un film de détective, un film de cowboy, un film d’horreur, un film classé R ou un conte de fées pour les enfants. Ça ne sert pas qu’à faire une seule chose. Et, la prochaine fois que j’entends « Comment c’est de travailler dans le genre de l’animation ? » Je collerai un coup de poing à la personne qui me dira ça ! »

    Une petite citation de Brad Bird pour ton analyse où tu évoques un moment ce genre qui n’existe pas ^^. Fais attention à lui si tu le croises, il va falloir pratiquer l’esquive ! :D

    • L’animation devrait être considérée comme une technique plutôt que comme un genre, c’est vrai! Je trouve que particulièrement cette année aux oscars, il n’est pas juste de faire concourir un film comme La Passion Van Gogh avec des films comme Coco ou Ferdinand.

  • Brad aura beau dire ce qu’il veut, l’animation est un genre à part entière parce qu’il extirpe toute narration du cadre réaliste, qu’importe la technique employée. L’animation est un genre, évidemment construit sur d’innombrables registres
    Donc, prêt au coup de poing

  • J’aime beaucoup les analyses de films d’animation, c’est une très bonne idée de sortir ce genre d’articles. :) C’est toujours intéressant à lire ! J’ai déjà envie de savoir quels sont les autres films qui seront analysés

    Je n’avais pas fait autant attention au thème du passé/de l’héritage, c’est vrai que c’est finalement un thème assez présent. Bien vu !

    Je trouve que l’époque du film n’est pas totalement clair personnellement. J’ai toujours pensé que le film se passait à notre époque mais quand on y réfléchit, à part le vieux poste de télévision dans la maison au début du film, il n’y a pas d’autres traces de la technologie il me semble (pas de téléphones ou d’ordinateurs par exemple), et le fait qu’on retrouve dans l’appartement de Linguini un même vieux poste de télévision qui diffuse un film en noir et blanc me laisser penser que le film pourrait effectivement se passer dans les années 60, tout comme dans Les Indestructibles. Si c’est le cas, on pourrait peut-être voir ça comme un point commun que Brad Bird tenant à avoir dans ses deux films. Mais il se peut que je me trompe car c’est vrai que la moto de Colette est assez moderne… du coup je ne sais toujours pas quoi penser.

    Je trouve que le film fait une bonne critique de la critique en générale. Le long monologue d’Anton Ego à la fin du film donne à réfléchir et propose d’apprécier les choses sous un autre angle. Il le dit très bien, les critiques négatives sont plaisantes à écrire et à lire. Or, nous devrions plutôt encourager l’innovation plutôt que de chercher à la rabaisser. :) Bref, je trouve que c’est un très bon discours et le développement d’Anton Ego est assez intéressant à suivre. Il renvoie pendant une grande partie du film l’image d’un personnage antipathique et intransigeant, et ça fait justement plaisir de voir ce personnage à la fin du film faire preuve de tolérance et d’une grande ouverture d’esprit.

    Je me réjouis de lire d’autres analyse dans ce genre. :)

    • Merci pour ton retour complet et ton développement analytique ;)
      Pour l’époque du film, c’est vraiment obscur… Tout se mélange, du coup l’on ne peut qu’imaginer qu’il s’agit d’un Paris intemporel, qui mélange modernité et passé !
      Rendez-vous pour la prochaine analyse ;)

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