(Critique) Adam change lentement de Joël Vaudreuil

Que j’aime partir à la découverte d’oeuvres aussi déstabilisantes qu’Adam change lentement. Presque un an après sa présentation au festival d’animation d’Annecy, le film de Joël Vaudreuil s’offre enfin aux spectateurs français via le distributeur Eurozoom, décidément toujours sur les bons coups des OVNI de la sélection. Tout droit venu du Québec, ce long-métrage en 2D à l’apparence sommaire est une véritable expérience misant sur ses étrangetés. Une expérience à mi-chemin entre l’ironie et l’empathie qui risque de cliver son public. Qu’on rejette ou qu’on adore Adam change lentement, ce film devrait faire parler de lui !

Résumé : Adam, 15 ans, a une particularité extraordinaire : son corps se modifie en fonction des moqueries et des commentaires de son entourage. Pas idéal pour un ado complexé. Alors que les grandes vacances commencent, Adam doit en plus se coltiner deux jobs d’été : garder une maison avec un chat-tronc et s’occuper du gazon de son voisin amoureux de sa tondeuse. Décidément, la vie ne fait pas de cadeau à Adam…

(c) Eurozoom

Adam est un adolescent tout ce qu’il y a de plus normal, mal-être physique y compris. Sauf que le scénario appuie métaphoriquement la puissance des moqueries et des remarques physiques puisque le jeune homme change au rythme des propos de son entourage, au premier rang desquels on retrouve les commentaires acerbes de sa grand-mère. Alors qu’elle meurt dans la première séquence du film, Adam repense aux remarques désobligeantes ayant parsemé son enfance aux côtés de cette figure austère. Un travail d’importance sur le son génère des accents fantastiques au film dès lors que les commentaires provoquent des changements sur Adam. Commence alors pour le spectateur une attente déterminante : à quel moment le pauvre Adam réagira-t-il pour affronter l’adversité et ces changements ? Intrigué, le spectateur attend le début d’une intrigue qui ne débutera jamais aux côtés d’un personnage principal étrangement mutique. 

Subtilement, la narration nous met à la place de l’adolescent pour mieux comprendre ses douleurs intensifiées à chaque humiliation subie. La machine empathique marche à plein régime ! Le fantôme de sa grand-mère le hante, des lycéens le brutalisent au quotidien, un homme qui promène son chien l’exaspère, un homme chez qui il tond la pelouse l’infantalisie : autant de gênes quotidiennes qui énervent Adam (et le spectateur, par la même occasion). Il reste pourtant maître de lui-même et ne cède pas à la révolte : mais à quel point ? Tout l’enjeu du film réside en cette attente, cette passivité face aux horreurs du monde dans lequel il évolue. Adam change « lentement », tout est dans le titre. Aura-t-il la force de changer « rapidement » en s’insurgeant ? Galvanisé par les films de karaté qu’il regarde en boucle dans sa chambre sommaire – à l’image de l’univers dans lequel il gravite – saura-t-il s’affirmer ? 

(c) Eurozoom

Point de répit lorsqu’il dort : ses nuits sont peuplées de cauchemars réinterprétant les traumatismes de ses journées. Le film de Joël Vaudreuil est une mise en image des conséquences terribles du harcèlement. Sans pour autant être un exposé rébarbatif des ravages du harcèlement sur l’adolescence, Adam change lentement fait de son apparente simplicité – on assiste impuissants au calvaire vécu par le personnage – une force pour aborder ce sujet de société. Lorsqu’une éclaircie semble apparaître dans sa vie, les nuages sombres ne tardent pas à lui faire comprendre qu’il s’était bercé d’illusions. Mais le film n’est jamais misérabiliste, d’autant plus qu’il se présente sous la forme d’une animation sommaire un brin déplaisante dans ses premières minutes. On finit par s’y faire… comme Adam avec ses moqueries répétées ? C’est aussi par son humour fort particulier que le film de Joël Vaudreuil trouve sa singularité, tout en évitant le pathos exacerbé.

Oeuvre du questionnement ancrée dans son temps et les problématiques de son époque, Adam change lentement installe ses spectateurs dans une attente quasi frustrante pour mieux épouser le point de vue de son personnage principal. Une frustration qui confine à la fascination méritant toute votre attention. Joël Vaudreuil signe un premier long-métrage troublant ! 

(c) Eurozoom

A découvrir en salles le 29 mai prochain via Eurozoom

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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