(Critique) Interdit aux chiens et aux Italiens d’Alain Ughetto

L’amour d’Alain Ughetto pour le stop-motion ne se dément pas. Après Jasmine en 2013, également présenté au festival d’animation d’Annecy, il revient avec un récit en pâte à modeler aux accents biographiques. Interdit aux chiens et aux Italiens est une histoire familiale mais aussi une histoire nationale : en contant le destin tragique et semé d’embûches de ses grands-parents, le cinéaste retrace le parcours difficile d’une fange de la population italienne au carrefour du XXème siècle. Une émouvante histoire qui peut compter sur des choix de mise en scène inspirés pour conquérir (et surprendre) son public.

Résumé : Début du XXe siècle, dans le nord de l’Italie, à Ughettera, berceau de la famille Ughetto. La vie dans cette région étant devenue très difficile, les Ughetto rêvent de tout recommencer à l’étranger. Selon la légende, Luigi Ughetto traverse alors les Alpes et entame une nouvelle vie en France, changeant à jamais le destin de sa famille tant aimée. Son petit-fils retrace ici leur histoire.

(c) Gebeka Films

Dès ses premières images, le long-métrage étale ses cartes originales pour surprendre un spectateur désormais bien habitué aux récits de vies animés. Dans un générique aux allures de making-of, on voit l’artiste à l’œuvre créant les décors de ce que sera son film mais on l’entend aussi prendre de la voix en voix off. S’adressant alors à l’un de ses personnages, qui se révèle être sa grand-mère, il entame une conversation filmique avec elle et tisse alors le fil rouge de ce retour en arrière. Son aïeule lui propose (fictivement) de répondre à ses questions et c’est ainsi que le passé de sa famille (res)surgit à l’écran au gré d’un dialogue extradiégétique empli d’émotion. L’ampleur pathétique du récit doit beaucoup à l’association du passé et du présent, comme lorsque la grande main vieillie du réalisateur prend la main minuscule et modelée de sa grand-mère pour en contempler l’alliance symbolique (le grand-père du réalisateur est au coeur du propos filmique). Le réel et la fiction se lient grâce à des choix de mise en scène qui bâtissent les contours de cet hommage sincère.

Interdit aux chiens et aux Italiens ne tient pas à composer l’image d’une diégèse réaliste et l’artifice est toujours exacerbé, à l’image d’une figurine de vache transportée tout au long du film par les personnages en pâte à modeler. A la fois élément comique (il ne cesse de subir les affres de la vie) et ressort artistique, l’animal-objet met en exergue le projet cinématographique de son créateur. Cet humour par touches contraste avec la gravité qui ne lâche jamais vraiment les personnages, contraints de vivre au rythme des décès causés par une époque intraitable. Guerres, épidémies, régimes fascistes et exodes sont le sel quotidien de ces italiens rejetés par leurs terres d’asile. Les silences ont leur importance dans cet entreprise alors que les cercueils se suivent… Lorsque la mort ne plane pas au-dessus d’eux, les personnages sont exploités pour leurs compétences et leur dévouement (on pense notamment aux paysans, serviles et dociles lors des guerres). Et quand les hommes partent en guerre, les femmes se retrouvent seules au travail dans des conditions à la pénibilité évidente.

(c) Gebeka Films

De déplacements en déplacements, de voyages en trains en marches forcées, les ancêtres d’Alain Ughetto sont en quête de bonheur et de stabilité. De l’Europe à l’Amérique, les doutes subsistent et le destin (fréquemment symbolisé par des plans en parfaite plongée) ne cesse de faire vaciller leur foi en un avenir plus clément. En ne dévoilant que ses mains d’artiste, le cinéaste célèbre le travail abattu par ses aïeuls à la force de leurs mains et le générique final est inauguré par une astucieuse idée de mise en scène qui en dit long sans faire usage de la parole. L’inévitable photo réelle de la famille du réalisateur en préambule du générique finit d’ancrer le propos si essentiel du film dans l’histoire de l’Humanité. Sujets au racisme, les italiens relégués au rang d’animaux sur les pancartes de certains établissements français (véridique !) s’octroient un important hommage dans cette tragédie cinématographique à la dimension malheureusement universelle… d’un siècle à l’autre, les tragiques histoires de migration se répètent…

Interdit aux chiens et aux Italiens est autant un recueil de mémoires tragiques qu’un partage d’émotions entre générations. La magie du stop-motion et la sincérité de l’entreprise d’Alain Ughetto invitent les spectateurs à une expérience exigeante. En mettant en images l’engagement manuel et vigoureux de ses ancêtres, Alain Ughetto évoque la nécessité de transmettre.

(c) Gebeka Films

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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