(Critique) Ernest et Célestine : le voyage en Charabie de Julien Chheng & Jean-Christophe Roger

Dix ans après la rencontre sur grand écran de l’ours Ernest et de la souris Célestine (à deux jours près puisque le film est sorti le 12 décembre 2012 en salles françaises), le duo célébré par des albums illustrés vit sa seconde aventure dans les salles obscures. Porté par un nouveau binôme de réalisateurs (qui était déjà à la barre de la série télévisée d’Ernest et Célestine), le long-métrage se révèle aussi charmant que son aîné tout en insufflant des accents instructifs à ce retour en arrière nostalgique à bien des niveaux. Assurément LE film d’animation à partager en famille en cette fin d’année !

Résumé : Ernest et Célestine retournent au pays d’Ernest, la Charabie, pour faire réparer son précieux violon cassé. Ils découvrent alors que la musique est bannie dans tout le pays depuis plusieurs années. Pour nos deux héros, il est impensable de vivre sans musique ! Accompagnés de complices, dont un mystérieux justicier masqué, Ernest et Célestine vont tenter de réparer cette injustice afin de ramener la joie au pays des ours.


Copyright 2022 – Folivari Mélusine Productions Studiocanal France 3 Cinéma Les Armateurs.

D’entrée de jeu, le spectateur comprend qu’il n’y a pas de temps à perdre : on entre dans cette nouvelle histoire au gré d’un cauchemar musical d’Ernest, protagoniste au centre du récit. Une manière de focaliser l’attention du spectateur sur l’ours mais aussi sur la musique, force structurante de ce scénario aux accents dénonciateurs. Contraint de rejoindre sa terre natale, la Charabie, en compagnie de sa fidèle amie Célestine, Ernest renoue avec une famille décomposée (ses parents vivent dans une maison littéralement divisée). On rencontre alors sa mère médecin, son père juge et sa jeune sœur, Mila, oreille attentive enchantée de le retrouver. S’ouvre alors l’une des grandes thématiques du film : l’héritage et ses injonctions. « Les enfants doivent faire le métier de leurs parents » s’exclame un personnage tertiaire, tandis qu’un panel de portraits d’ancêtres d’Ernest accrochés sur le mur de la demeure familiale lui intime la voie à suivre…

Même si nous sommes en terrain connu d’un point de vue graphique (et narratif), l’épuration graphique qui transfigure avec éclat les dessins de Gabrielle Vincent se met au service de la poésie. Les aquarelles animées font toujours leur effet car elles contrastent avec les grosses machines hollywoodiennes tendant toujours vers un trop-plein de réalisme. Elles conviennent aussi parfaitement à l’irréalité de la Charabie et aux raccourcis nécessaires au bon déroulement du récit (au bout de quelques minutes, les personnages sont déjà au coeur de la patrie d’Ernest). Difficile de ne pas se délecter des détails savoureux disséminés en Charabie, à l’image de ces clés de prison à l’apparence évocatrice de clefs de sol musicales. Magnifique, la cité de l’Est (la Charabie, la Russie ?) déploie une architecture éprise de naturel, jusqu’à son centre pénitentiaire aérien. On se laisse porter avec un plaisir non feint dans cet univers simplement onirique.

Copyright 2022 – Folivari Mélusine Productions Studiocanal France 3 Cinéma Les Armateurs.

Entièrement tourné vers la musique, le scénario use de ressorts classiques pour faire avancer son intrigue mais il le fait bien. Le voyage en Charabie promis par le titre permet toutes les excentricités thématiques pour diversifier un coeur narratif plus convenu, fait d’émancipations enfantines et de rébellions contre l’autorité (parentale et gouvernementale). La censure et les lois strictes du pays gangrènent le quotidien des habitants contraints de ne jouer qu’une seule note de musique sous peine d’être emprisonnés. Qui dit musique dit composition soignée et la partition de Vincent Courtois (qui officiait déjà sur le premier film) colle parfaitement à l’histoire contée. Qu’il s’agisse d’un périple en montagne enneigée ou d’une salle de concert clandestine, les rythmes folkloriques nous transportent en Charabie. Sous couvert de réjouissance animée et musicale, l’équipe créative tient un discours explicite sur le totalitarisme et l’absence de libre-arbitre.

A chaque révolution, son héros : Mifasol est le justicier masqué tout trouvé qui ne manquera pas de toucher un jeune public, tandis que les plus aguerris démasqueront bien rapidement l’identité de cet héraut de la musique. Seule ombre au tableau ? La brièveté de la composition ! On aimerait vivre encore tant d’aventures avec ce duo si bien assorti, mais la courte durée du métrage (75 minutes) évite tout ennui dans une intrigue parfaitement resserrée.

Ernest et Célestine : le voyage en Charabie est une suite qui fait honneur à son aînée ! En s’immisçant dans l’histoire personnelle de l’ours grognon, le second film révèle des trésors de narration et d’animation : à la fois conte pour enfants et apologue charmant érigé contre la censure, le long-métrage est une réussite. Sur une partition bien jouée, les notes d’espérance face au diktat de l’uniformisation ravissent !

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

Laisser une réponse:

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Site Footer