(Critique) Krisha et le maître de la forêt de Park Jae-beom

Bonne nouvelle : le premier film d’animation original en salles de l’année 2024 est une agréable surprise ! Production sud-coréenne, Krisha et le maître de la forêt est une intrigante proposition en stop-motion révélant le quotidien résilient des Nenets (un peuple autochtone parcourant la Sibérie et ses terres glacées) et leurs liens essentiels avec une nature qu’ils vénèrent. Récit initiatique autant qu’une célébration des liens mystiques qui nous lient avec le monde spirituel, le premier long-métrage de Park Jae-beom est une réussite aux contours imparfaits mais à la sincérité touchante !

Résumé : Éleveuse de rennes nomade, la jeune Krisha vit avec sa famille dans les steppes de la toundra sibérienne. Lorsque sa mère tombe malade, Krisha écoute les conseils d’une vieille chamane et part à la recherche d’un mystérieux ours rouge qui lui est apparu en rêve. Il veille sur les peuples de cette terre gelée et se fait appeler le Maître de la Forêt.

(c) Survivance Films

Plaire et instruire : un credo d’auteurs classiques français qui sied si bien à cette proposition filmique asiatique. Krisha et le maître de la forêt raconte autant qu’il nous documente sur les us et coutumes des Nenets, peuple autochtone de Sibérie qui lutte en permanence avec les éléments intraitables de la nature. Dans cette lutte, les rennes se révèlent être leurs plus grands alliés puisqu’ils leur permettent tour à tour de se nourrir, de se vêtir mais aussi de se déplacer. C’est aussi par cette conception animiste de l’existence que l’esprit de la forêt est métabolisé en ours. Un ours qui hante et guide Krisha, une héroïne courageuse, résiliente et altruiste qui s’engage dans une quête aussi expéditive qu’intense.

En effet, on pourrait aisément reprocher l’empressement narratif d’une histoire focalisée sur ses résolutions : peu de péripéties séparent le départ de la quête de Krisha de sa résolution. Néanmoins, l’antagoniste matérialiste contraste efficacement avec le mysticisme profond de l’héroïne et de son jeune frère, qu’elle embarque dans son aventure. Ce que le film perd en fluidité technique (la stop-motion est emplie de charme mais elle peine parfois à dissimuler ses limites, à l’image des courses à dos de renne), il le gagne en poésie. Le character design anguleux des personnages étonne tandis que les choix de mise en scène enfoncent le clou d’une spiritualité exacerbée. De l’austérité obscure et polaire du grand Nord jusqu’au havre de paix verdoyant recueillant l’âme de la nature, les décors entrent en osmose avec la belle histoire contée.

(c) Survivance Films

Propice à la réflexion, Krisha et le maître de la forêt ne cesse de questionner ses personnages (et par là même les spectateurs de tous âges). Les esprits doivent-ils intervenir dans la destinée des Hommes ? Le maître de la forêt (l’ours) regarde, mais il n’agit jamais vraiment sur le destin du peuple qui l’honore. Mais alors que l’héroïne et son frère peinent à comprendre le positionnement passif de cette nature animalisée, l’écriture mystique et onirique du film leur offre des pistes de compréhension qui peuvent être empruntées par les spectateurs. Le dénouement, volontairement ouvert et poétique, laisse à entendre que tout est une question d’ordre des choses. Donner la vie, et la rendre, avec justice. L’intelligence du film est aussi de ne pas s’appesantir sur ce qui a été compris : le point final surgit d’un coup, mais il semble porter en lui tous les enjeux d’un récit resserré pour le meilleur.

(c) Survivance Films

Krisha et le maître de la forêt est plus intense qu’il n’y paraît. Au gré de son histoire animiste et de ses questionnements écologiques, le premier film au long cours de Park Jae-beom a toutes les qualités requises pour embarquer un large public. En questionnant le rôle joué par les esprits dans l’existence humaine, Krisha et le maître de la forêt se révèle être un trésor d’animation à chérir.

En salles le 17 janvier via Survivance Films.

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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