(Critique) La Sirène de Sepideh Farsi

L’animation et l’Histoire, une relation fraternelle qui ne se dément pas. Rejetée par son pays, Sepideh Farsi, réalisatrice de documentaires et de films en prises de vues réelles, s’éprend d’images animées pour dire ses vérités. Sélectionné au festival d’animation d’Annecy 2023, La Sirène est un regard sur le passé d’un peuple assiégé. Un passé qui empiète constamment sur le présent et dit beaucoup d’une Iran fracturée et enlisée dans une propagande autoritaire.

Résumé : 1980, sud de l’Iran. Les habitants d’Abadan résistent au siège des Irakiens. Omid, 14 ans, a décidé de rester sur place mais tandis que l’étau se resserre, il va tenter de sauver ceux qu’il aime en fuyant la ville à bord d’un bateau abandonné.

(c) Bac Films

A l’évocation autobiographique d’une enfance passée en Iran, la réalisatrice aura préféré offrir des rencontres fictives capables de construire une image élargie d’une Iran déchirée. On fait ainsi la connaissance d’Omid, un jeune habitant d’Abadan, qui entreprend un périple salvateur pour ses concitoyens en cherchant, en parallèle, à connaître le sort d’un frère emporté par la guerre. Découvrant un lenj, un bateau traditionnel du sud du pays, l’adolescent l’envisage comme une arche salutaire vers des lendemains meilleurs. L’écriture foisonnante du film propose de rencontrer un nombre important de personnages secondaires qui donnent à voir des regards multiples (et non manichéens) sur la crise d’un pays en guerre.

Ici une ancienne chanteuse interdite de concert, là un photographe contraint de s’épancher sur son art bridé : autant de parcours de vie qui dressent le tableau d’une société emmurée. Aux barreaux intimes s’ajoute l’omniprésence d’un danger guerrier et industriel : la raffinerie qui trône au centre de la ville est fréquemment mise en péril par des missiles. Les personnages s’inquiètent tout en apprenant à vivre avec. Ce que l’animation 3D du film perd en précision, elle le gagne en évocation dans sa mise en scène. L’épée de Damoclès qu’est la raffinerie fait écho aux couleurs affirmées de la direction artistique. En animant ses souvenirs de l’Iran, Sepideh Farsi s’engage dans des métaphores visuelles qui font sens alors que le protagoniste réinvente les malheurs qui l’entourent pour mieux les surmonter.

(c) Bac Films

Autre composante signifiante du récit : sa musique. Omniprésente, et ce dès la scène introductive au son d’un dammam (tambour traditionnel), elle rythme la quête du protagoniste qui apprend bien trop tôt la brutalité de l’existence. Mais l’équipe chargée de la musique ne s’enlise jamais dans un académisme folklorique, en faisant appel à l’artiste trompettiste Erik Truffaz. Les élans mélancoliques de son instrument à vent finissent d’étouffer l’innocence d’Omid. C’est alors que la musique prend toute son importance face aux canons des armées.

La Sirène est une arche, un « lenj » filmique, invitant tous les optimistes et les résilients à son bord : œuvre du coeur célébrant l’engagement et la résistance d’un peuple, le premier long-métrage animé de Sepideh Farsi est une proposition de cinéma passionnante.

(c) Bac Films

En salles le 28 juin 2023 via Bac Films.

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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