(Critique) Le grand magasin de Yoshimi Itazu

Après sa sélection au Festival d’animation d’Annecy en juin dernier, le premier long-métrage au poste de réalisateur de Yoshimi Itazu (un animateur chevronné ayant travaillé sur Paprika de Satoshi Kon ou Le Vent se lève d’Hayao Miyazaki – rien que ça!) se faisait attendre… Mais à la découverte de son projet, on comprend mieux le choix d’une sortie en fin d’année. Alors qu’un grand magasin dédié au bien-être des espèces en voie de disparition s’apprête à fêter Noël, une jeune concierge humaine tente de faire sa place, non sans erreurs inévitables. Le sous-titre français du film s’amuse du parallèle avec un écrit célèbre de la littérature française : « Au bonheur des animaux ». Comme Zola en son temps, Le grand magasin propose une satire amusante des êtres humains avec des exigences plus familiales, plus propices aux célébrations de fin d’année. Si l’œuvre n’accuse pas quelques faiblesses, elle ne manquera pas d’embarquer, le temps d’une courte séance (70 minutes au compteur), toutes les générations.

Résumé : Akino est l’apprentie concierge d’un grand magasin vraiment spécial : les clients y sont tous des animaux. Qu’ils soient petits ou grands, à poils ou à plumes, Akino travaille dur pour satisfaire toutes leurs demandes… même les plus surprenantes.

(c) Art House Films

Tout commence par une curiosité. Une petite fille ouvre une porte indéterminée et pénètre dans un gigantesque magasin superbement éclairé avant d’être entouré de pattes gigantesques d’animaux et de rencontrer une concierge anonyme pour l’aiguiller. Le décor du film est planté, ainsi que ses thématiques. Dans le magasin Hokkyoku, les animaux sont rois (ou dieux ?) et les êtres humains les servent du mieux qu’ils peuvent. Ce postulat fantaisiste, tout droit venu d’un manga écrit par Tsuchika Nishimura que le film adapte ici, est une manière pour l’équipe créative de sensibiliser les spectateurs à la protection des espèces et sur les ravages de nos sociétés de consommation. Symboles de la surconsommation, les centres commerciaux sont ici l’objet d’une critique bienveillante quelque peu paradoxale.

En offrant aux animaux ce qui provoque leur extinction (la surconsommation impulsant des désastres écologiques), l’histoire du film questionne tout en montrant qu’elle a conscience de cette contradiction. Le temps que le film se mette en place à travers des requêtes prosaïques de clients exceptionnels (visons, paons et autres tigres rares peuplent la clientèle), le récit gagne en épaisseur au détour de séquences plus explicites portées par un patron-pingouin investi. Compatissant, le personnage exprime tous les enjeux de cette utopie fantastique. Le grand magasin renverse ce que l’on connaît en faisant des animaux les privilégiés dans une réalité alternative. Le spectateur se questionne alors sur ses propres pratiques, même si le postulat de départ est si éloigné de nos réalités que les plus jeunes des spectateurs peineront sûrement à créer autant de liens que voulu par le film.

(c) Art House Films

Mais pour s’assurer d’interpeller au mieux l’entièreté de son public, le film se devait d’imposer une protagoniste attachante, c’est là qu’entre en jeu Akino. Cette figure solaire porte le bonheur de ses clients et des spectateurs sur ses épaules et s’investit pleinement dans sa mission de conciergerie. Construite en opposition avec son chef de rayon, rabat-joie, obstiné et omniprésent, elle incarne l’enthousiasme ouvrier face à un patronat exigeant. Point de manichéisme dans ce magasin dirigé par un pingouin tolérant et cultivé, bien au contraire. La bienveillance ne se cantonne pas aux animaux ni aux humains puisque l’on rencontre des hommes parfois irritants et des animaux certaines fois intransigeants (une otarie s’emporte sur Akino avec fureur durant une séance shopping qui ne la convainc pas).

Sur le plan graphique, le film de Yoshimi Itazu emprunte beaucoup au livre dont il est l’adaptation. L’animation 2D est chatoyante et agréable mais le montage laisse à désirer avec des coupes injustifiées. On passe parfois d’un client à un autre, ou d’une séquence à une autre, sans prévention et les repères sont mis à mal. Musicalement, le film peine aussi à trouver son identité propre, assénant régulièrement ses gimmicks musicaux peu inspirés. Une manière d’évoquer le quotidien fait de répétitions au sein d’un centre commercial ? Mais ces menus défauts techniques n’entravent jamais l’attachement puissant pour le personnage principal et ces animaux touchants. Plus émouvante que jamais, la séquence finale est pleine de promesses pour l’avenir ! L’émotion est notamment incarnée par un des personnages secondaires, un mammouth sculpteur sur glace, pétri de sentiments vifs et d’histoires poignantes. Il se passe tant de choses en 1h10 !

(c) Art House Films

Au final, Le grand magasin est une œuvre charmante qui, au-delà de ses paradoxes narratifs, nous invite à réfléchir. Si la première lecture divertissante du film s’adresse à toute la famille (Akino parviendra-t-elle à faire sa place au sein du magasin ?), les plus grands des spectateurs seront touchés par les pistes de réflexion entamées sur le consumérisme qui ronge le vivant.

Rendez-vous en salles le 6 décembre via Art House Films.

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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