(Critique) Nayola de José Miguel Ribeiro

Quoi de mieux pour entamer le mois de mars qu’une oeuvre forte dépeignant les ravages de la guerre civile en Angola ? Avec Nayola, le réalisateur portugais José Miguel Ribeiro construit un discours anti-militariste en suivant avec passion trois générations de femmes. Lelena, Nayola et Yara incarnent l’Angola d’hier, d’aujourd’hui et de demain, un pays en proie aux violences à cause d’une guerre civile. Un long-métrage passionnant qui plonge tête la première dans l’onirisme pour nous conter ses vérités sociales et historiques.

Résumé : Angola. Trois générations de femmes dans une guerre civile qui dure depuis 25 ans : Lelena (la grand-mère), Nayola (la fille) et Yara (la petite-fille). Le passé et le présent s’entrecroisent. Nayola part à la recherche de son mari, qui a disparu au pire moment de la guerre. Des décennies plus tard, le pays est enfin en paix mais Nayola n’est pas revenue. Yara est maintenant devenue une adolescente rebelle et une chanteuse de rap très subversive. Une nuit, un intrus masqué fait irruption dans leur maison, armé d’une machette. Une rencontre qu’elles n’auraient jamais pu imaginer…

(c) Urban Distribution

Comme une fable, le film s’ouvre par la mort d’un homme dans une flaque de boue, donnant ainsi la vie à un arbre millénaire et énigmatique. Dans une esthétique rappelant la Planète sauvage de René Laloux, l’introduction du film est portée par la voix d’une héroïne plongée dans l’horreur de la guerre, en quête d’un mari engagé et disparu. Nous sommes alors en 1995 et l’Angola se déchire dans une tempête de violence qui sacrifie l’innocente nature. L’esthétique 2D des séquences dans le passé emprunte beaucoup à la peinture et envoûte immédiatement son public. Ce sont d’ailleurs les images qui distinguent en toute transparence le passé et le présent, une partie de l’intrigue s’ancrant en 2011. On y suit le parcours de la jeune Yara dans une animation numérique moins flatteuse que les peintures animées dont elles sont le miroir. Plus saccadée et artificielle que les scènes en 1995, l’animation de l’histoire contemporaine se révèle, de prime abord, moins touchante même si cela est compensé par une protagoniste déterminée, rappant ses vérités dans une mixtape au nom éclairant : « Pays nouveau ».

Nayola est une histoire de générations, générations malmenées par des années de guerre, de séparations et de répression. Les scènes guerrières sont sans concession – on pense alors à un plan en travelling aux pieds des personnages qui nous fait vivre l’action au plus près – et les couleurs à l’écran imagent les souffrances du monde. Les couleurs saturées, notamment dans un rouge vermeil éloquent, ou les jeux graphiques en noir et blanc sur des images d’archives finissent de bâtir les contours d’un Angola torturé. A la lecture du journal de Nayola, Yara questionne l’Histoire de son pays pour en dénoncer les aspérités tout en questionnant les sinuosités des chemins de vie de ses parents disparus. L’arrivée d’un être fantastique, arborant un masque de chacal, animal au centre du récit, rebat les cartes et lie les deux lignes temporelles du long-métrage.

(c) Urban Distribution

En 80 minutes seulement, le métrage José Miguel Ribeiro dépeint un monde contraint de trouver son salut dans l’irréel alors que la jeune Nayola s’enlise chaque jour un peu plus dans l’onirisme. Son enquête la plonge inévitablement dans la guerre mais aussi dans les rencontres symboliques. On pense alors aux merveilles déployées par Miyazaki dans ses œuvres lorsqu’une plante s’anime et fait de l’héroïne sa chose pour la rendre au monde. Pour revenir de cette guerre monstrueuse, Nayola doit littéralement s’en départir sous une lune allégorique. Qu’il s’agisse de sa violence ou de ses élans mystiques en fin de parcours, Nayola ne peut être vu par tous les publics mais il construit avec une intelligence désarmante un propos universel et essentiel.

(c) Urban Distribution

Dans une tempête onirique de sang et d’animation, Nayola nous affirme avec justesse que l’on ne revient jamais vraiment de la guerre, comme Nayola qui donne son titre au film. Dévastatrice, la lutte armée fracture le pays et les générations…

Cette belle proposition animée, adaptant une pièce de théâtre de José Eduardo Agualusa et Mia Couto, sort dans les salles françaises le 8 mars prochain via Urban Distribution.

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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