(Critique) Sky Dome 2123 de Tibor Banoczki & Sarolta Szabo

La science-fiction a le vent en poupe en animation, et cela nous ravit ! Après l’excellent thriller Mars Express de Jérémie Perrin sorti en novembre dernier, le distributeur KMBO s’apprête enfin à offrir aux yeux des spectateurs français le récit exigeant qu’est Sky Dome 2123 (White Plastic Sky à l’origine, notamment lors de sa diffusion en compétition au Festival d’animation d’Annecy en 2023). Un récit de science-fiction hongrois déroutant mais d’une richesse thématique infinie qui mériterait de trouver son public lors de sa sortie. En lorgnant du côté de l’histoire sentimentale et personnelle au détriment d’une histoire bourrée d’action, Sky Dome 2123 détonne et se singularise. 

Résumé : 2123. Dans un futur où la sécheresse a ravagé la Terre, l’humanité est contrainte de sacrifier une partie de la population : toute personne de plus de 50 ans sera transformée en arbre. La société est régie par des règles impitoyables. Le jour où Stefan voit sa femme condamnée prématurément par le système, il décide de prendre les plus grands risques pour changer son destin.

Copyright SALTO FILMS, ARTIHCOKE, MŰANYAG ÉGBOLT LTD, RTVS RADIO AND TELEVISION SLOVAKI

Découvrir le film de Tibor Banoczki et Sarolta Szabo sur grand écran est une véritable expérience, non parce qu’il met à rude épreuve notre attention mais parce qu’il exige de se plonger dans une véritable réinvention du genre mis à l’honneur. Même si le titre français et l’affiche laissent à penser qu’il s’agit là d’une énième histoire futuriste à la prédominance technologique, Sky Dome 2123 se révèle tout autre (et son titre originel est infiniment plus poétique). La première partie pourrait pourtant vous convaincre du contraire tant les poncifs du genre sont employés pour dépeindre ce futur dystopique (scène en club techno, véhicules futuristes, omniprésence de la technologie, expériences virtuelles pour vivre le monde avant les catastrophes écologiques) dans lequel la nature a quasiment disparu et où les êtres humains ne disposent que de leurs corps pour une durée limitée de 50 ans dans une Budapest cloisonnée par un dôme artificiel. Mais la quête du protagoniste, un psychologue en échec face au désespoir de sa femme après la perte de leur enfant, l’emmène sur un chemin moins conventionnel. Pour sauver celle qu’il aime, et pour y voir plus clair sur l’avenir de l’Humanité, il doit se risquer à l’extérieur du dôme. Ainsi commence une aventure plus philosophique et psychanalytique, délaissant avec conscience l’action tant répandue en SF.

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Tel Orphée en quête d’une Eurydice résignée dans les Enfers, le protagoniste plonge dans les méandres d’un monde en mutation. Le dôme pèse littéralement sur les personnages et la mise en scène, astucieuse, le représente partout grâce aux surimpressions et aux reflets qui envahissent l’écran. L’univers post-apocalyptique du long-métrage pourrait paraître austère de prime abord, y compris dans son traitement pessimiste de la condition humaine, mais le couple au centre du récit incarne le coeur de cette histoire porteuse d’espoir à certains égards. Après avoir tant maltraité la planète par consumérisme, l’être humain peut-il incarner sa résurrection en donnant de sa personne ? Les solutions soufflées par le scénario de Sky Dome 2123 sont aussi tragiques qu’évidentes et le trans-humanisme au coeur des récits de science-fiction prend ici tout son sens. Et lorsque le spectateur en oublie la réalité de ce monde dystopique aux côtés de ce couple de protagonistes attachants, la caméra nous rappelle à l’ordre avec des éléments explicites disséminés dans le décor (ici, un couple lié dans la mort, là, un paysage dévasté par la révolte d’une nature maltraitée).

Graphiquement, Sky Dome 2123 fait le choix d’une rotoscopie cohérente, comme pour mieux nous rapprocher de ce futur possible et vraisemblable. Si quelques limites techniques apparaissent dans les rares scènes d’action, l’imagerie symbolique et réfléchie imprime la rétine, d’autant plus qu’elle est magnifiée par une bande originale onirique des plus abouties. Certains diront que ce récit psychologique manque de rythme dès lors que le protagoniste s’échappe du dôme dans la première partie du film, mais cela serait réducteur tant les questionnements qu’il initie sont légion. Se laisser porter par la quête existentielle de ces personnages est un voyage réflexif sur notre condition, un voyage ô combien intrigant qui mérite toute votre attention.

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Derrière ses apparences de récit SF balisé, Sky Dome 2123 cache une oeuvre profonde dans laquelle on plonge avec sidération. Tout en construisant un regard singulier sur l’avenir de l’Humanité, le long-métrage de Tibor Banoczki et Sarolta Szabo nous questionne intensément jusqu’à un final symboliquement fort. Tous les spectateurs n’entreront pas dans ce parcours émotionnel et pessimiste, mais ceux qui se laisseront porter en ressortiront fascinés. Je fus de ceux-là ! 

L’expérience Sky Dome 2123 vous attend en salles dès le 24 avril via KMBO.

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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