(Critique) Unicorn Wars d’Alberto Vazquez

Après sa présentation annécienne en juin dernier, on attendait de pied ferme la sortie en salles d’Unicorn Wars, une production espagnole des plus intrigantes. Après de nombreuses avant-premières le 31 octobre dernier pour fêter Halloween, la guerre des oursons et des licornes débarquera en salles françaises le 28 décembre prochain via UFO Distribution. Sous ses airs d’Happy Tree Friends débordant d’hémoglobine, le film espagnol propose un récit fondateur nihiliste qui questionne avec une efficacité imparable le spectateur à la sortie de la projection. Une réflexion existentialiste d’une férocité troublante !

Résumé : En ces contrées reculées, Oursons et Licornes sont en guerre depuis toujours. Le soldat Célestin a soif du sang des Licornes, gage d’une beauté éternelle, selon le Grand Livre Sacré. Son frère Dodu, lui, n’aime pas la guerre, il préfère les myrtilles et les câlins. Mais la bataille finale approche : une unité d’oursons inexpérimentés quitte le camp d’entraînement pour une mission commando dans la Forêt Magique. Seront-ils à la hauteur ?

(c) UFO Distribution

La séquence d’introduction donne le ton en plongeant le spectateur du rêve au cauchemar : on suit une jeune licorne au coeur d’une forêt irréaliste aux tons roses et verts avant de l’accompagner dans les ruines d’un édifice religieux sous un ciel rougeâtre. Mystique, cette première séquence ne fera finalement sens qu’à la toute fin du film, lorsqu’il dévoilera enfin toute son ampleur philosophique. Entre temps, nous suivons la quête sanglante d’un escadron d’oursons guerriers au premier rang desquels une fratrie s’épaissit rapidement au gré de flashbacks construisant l’émotion du film. Même si le long-métrage d’Alberto Vazquez ne lésine pas sur la violence graphique, notamment dans une bataille finale gore au possible, on ne perd jamais de vue l’émotion du binôme d’oursons principaux. La focalisation sur le passé des deux frères, et notamment sur leurs rapports à une mère infidèle, programme déjà l’issue de la compagnie mais il déploie surtout les références fondatrices du scénario.

Le fil rouge est assez simple (le massacre des licornes) mais il dissimule une satire acerbe du fanatisme religieux et de la guerre. Dans cet univers parfaitement imaginaire (à moins que ?), la religion pousse les oursons au génocide des licornes alors que cette foi arbore des icônes prônant l’amour (un coeur assorti d’un œil). Paradoxale, cette religion renforce la soif de sang de ses fidèles à travers un chant assassin (« Une bonne licorne est une licorne morte ») mais aussi une « bible » sanglante vantant les mérites des combattants. Psychologiquement malmenés, les petits oursons guerriers subissent les décisions absurdes et immorales de leurs sergents qui ne sont pas sans rappeler les têtes pensantes des guerres de notre Humanité. Parlant de « dommages collatéraux » pour qualifier les fantassins, ces hommes déconnectés de la réalité servent une propagande meurtrière. En ce sens, on apprécie les clins d’oeil au septième art, inévitables mais bien pensés, à l’image du calvaire vécu par « Dodu » qui rappelle le traitement du personnage joué par Vincent D’Onofrio dans Full Metal Jacket de Kubrick.

(c) UFO Distribution

Graphiquement, l’animation 2D est de qualité (en plus d’être inventive) d’autant plus qu’elle permet la représentation colorée (et foncièrement exagérée) de ce monde antithétique. Le character design sombre des licornes (à l’opposé des représentations habituelles) s’oppose à la caractérisation vive des oursons : pourtant, les apparences sont trompeuses car les êtres les plus sombres sont dissimulés par des couleurs charmantes. Les plus grands meurtriers ne sont autres que les oursons. Il est aussi dommageable que les licornes soient si peu développées par le métrage, réduites alors à des victimes mystiques qui en savent plus que le spectateur, tout comme les simiens.

Il est vrai que le film manque un peu de rythme en son coeur, d’autant plus qu’il découpe ses séquences avec des fondus au noir parfois trop utilitaires, mais c’est là un menu défaut par rapport au foisonnement thématique du récit. Le scénario est une critique de la religion, des croyants aveuglés, des combattants mais aussi des conséquences de la guerre, une guerre qui crée des monstres pétris d’inhumanité. Au fil des flashbacks, des séquences violentes, des meurtres en famille, les limites du pensable sont franchies. Et lorsque l’on comprend que cette fable joyeusement gore est finalement un véritable récit fondateur, on ne peut qu’applaudir la profondeur de cette entreprise filmique. Apologue féroce, Unicorn Wars évacue rapidement les rires (parfois gênés) du début du film pour privilégier les surprises tétanisantes.

(c) UFO Distribution

En somme, Unicorn Wars est une œuvre magnétique qui, sous couvert de carnage enchanté, prend à parti le spectateur pour questionner son existence et ses agissements sur la nature. On en ressort désemparés mais fascinés par tant de réflexions et de scènes brutales. Passer à côte de ce film en salles serait une terrible erreur tant il s’agit là d’un chef d’oeuvre d’animation (à ne pas mettre devant tous les yeux!)

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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