La Folie des belles images (longs-métrages du studio Folimage)

Le confinement, l’instant parfait pour redécouvrir la filmographie d’un studio au savoir-faire bien français. Alors que les sorties cinéma, les sorties vidéo et les sorties en librairie se raréfient pour le monde de l’animation en ces temps pandémiques, c’est l’occasion rêvée de se replonger dans les anciennes œuvres du studio frenchy Folimage. Nous avions eu l’occasion de revenir sur La Prophétie des grenouilles lors de sa ressortie en haute-définition en novembre dernier (c’est à lire ici!) mais nous nous proposons aujourd’hui de refaire un bilan des longs-métrages du studio valentinois. Deux films signés Jacques-Rémy Girerd (déjà à la barre pour le premier long-métrage) et deux autres productions signées Alain Gagnol & Jean-Loup Felicioli. Cette année, cela fait cinq ans que nous n’avons pas eu de nouvelle œuvre longue de la part des studios dans les salles obscures tandis que les courts et les séries animées s’enchaînent (Ariol, Tu mourras moins bête ou même Les Cahiers d’Esther pour n’en citer que quelqu’uns). Cet article se consacre à quatre longs-métrages mais vous pouvez toujours retrouver les nombreuses autres productions Folimage en suivant ce lien (https://www.folimage.fr/fr/production/) !

Mia et le migou (2008) de Jacques-Rémy Girerd

(c) Folimage

Alors que La Prophétie des grenouilles trouvait son origine dans une catastrophe météorologique (le film étant une relecture très libre de l’arche de Noé), l’équipe créative embrasse pleinement les questionnements écologiques dans leur second long-métrage. Contant l’aventure d’une jeune fille au beau milieu d’une forêt menacée de destruction par le capitalisme féroce (la forêt est massacrée par une armée de bulldozers), le second long-métrage de Jacques-Rémy Girerd profite d’une esthétique magnifique donnant l’impression d’observer des tableaux mouvants. Foncièrement enfantin, et il s’agit probablement là de l’oeuvre la plus formatée « jeune public » du studio, le film perd en intensité lorsqu’il fait intervenir le fameux « migou » du titre (l’ombre d’Hayao Myazaki n’est jamais loin). Mia est une héroïne débrouillarde qui perd en force de caractère lorsqu’elle entre en contact avec ce personnage caricatural et déluré. Fallait-il forcément « humaniser » la nature pour susciter l’empathie chez le public ? Rien n’est moins sûr mais ce personnage aura su faire rire bons nombres de spectateurs. Doublé par Dany Boon (qui a visiblement repris les mêmes intonations en donnant « voix » à Olaf pour les studios Disney), le personnage demeure la faiblesse principale du film.

Pourtant, au rang de ses qualités, le scénario privilégie les modèles familiaux atypiques qui font l’originalité de Folimage (à mes yeux, au-delà d’univers graphiques léchés). L’antagoniste n’est-il pas un père divorcé qui doit s’occuper de son fils ? Alors que l’on assiste aux standardisations des modèles familiaux dans les productions hollywoodiennes (à bien y regarder, de nombreuses productions de la firme aux grandes oreilles proposent des familles monoparentales des suites de tragédies). Du côté de Folimage, les familles sont dans l’air du temps, aussi diversifiées les unes que les autres et c’est véritablement rafraîchissant tout en permettant à tous les publics de s’y retrouver !

En asseyant l’originalité graphique de son équipe créative (qui atteint son paroxysme dans un climax enflammé qui touche au sublime), Mia et le migou propose une belle aventure écologique dont l’Humanité a encore grand besoin aujourd’hui. On lui pardonne alors son scénario structurellement archétypal qui emprunte des chemins parfois un brin caricaturaux.

Une vie de chat (2010) d’Alain Gagnol & Jean-Loup Felicioli

(c) Folimage

Pour leur troisième long-métrage, les équipes de Folimage font confiance à un duo de réalisateurs. En découle une « sucess-story » qui les mènera jusqu’aux Oscars. Point d’apologue écologique cette fois-ci, mais une intrigue policière dans la plus pure tradition des films noirs français des années 50. Mêlant habilement une intrigue profondément réaliste (le vol d’une œuvre artistique par un groupe de bandits) à des séquences plus poétiques, cette nouvelle incursion sur grand écran du studio Folimage est une merveille d’animation (on pense notamment à l’animalisation du méchant de service qui devient une pieuvre terrifiante qui n’est pas sans rappeler les caricatures du XIXème siècle).

Auréolée de graphismes magnifiquement atypiques (tout en lignes et en rondeurs mouvantes), le scénario dévoile avec maestro son intrigue en n’omettant pas de faire évoluer ses personnages attachants. En une heure, on peut dire que le film est savamment orchestré, dans une époque où les productions dépassent régulièrement les 90 minutes. Point de temps morts dans la métamorphose à l’écran d’un scénario charmant sans pour autant que le film ne sacrifice tout sur l’autel de l’action. A l’image du chat donnant le titre au film, les séquences se meuvent avec délicatesse pour composer une oeuvre tout en finesse.

Sans ventre mou, Une vie de chat déploie son imagerie dans un imaginaire débridé aux accents très français (la capitale française y est magnifiée). C’est en évitant de singer les grosses productions américaines et en rendant hommage à son Histoire cinématographique que les créateurs français parviennent à exceller. On en redemande (et nous avons été servis quelques années plus tard par la même équipe…)

Tante Hilda ! (2013) de Jacques-Rémy Girerd & Benoît Chieux

(c) Folimage

Cinq ans après son conte enfantin sur les ravages du capitalisme, Jacques-Rémy Girerd rempile en compagnie de Benoît Chieux pour un long-métrage confirmant si c’était nécessaire la conscience écologique de ses auteurs. Le ton y est forcément plus véhément que dans Mia et le migou puisqu’en cinq ans, rien n’a changé et l’urgence écologique s’est renforcée. Tante Hilda ! profite d’un ton beaucoup plus mâture que les productions précédentes (après tout, tous les protagonistes sont adultes cette fois-ci), comme pour annoncer que le temps passe et que les situations critiques d’hier sont aujourd’hui alarmantes. D’ailleurs, le titre ne comporte-t-il pas un point d’exclamation fort expressif ?

Graphiquement foisonnant, ce quatrième long-métrage ne ressemble pas aux autres (les couleurs y sont plus douces comme pour contraster avec le contenu plus fort) tout en rappelant beaucoup l’esthétique propre aux équipes créatives du studio Folimage. Rares sont les studios qui parviennent à se réinventer sans se dénaturer. Parée d’une esthétique du mouvement et du foisonnement (pour s’accorder à la prédominance des fleurs et des odeurs dans le scénario), la production valentinoise érige son personnage principal en défenseure de la Nature et de l’Humanité. Contrainte de se liguer contre les actions capitalistes (toujours cet odieux mécanisme en quête de profit) d’une « méchante » au passé original, tout en jonglant avec des parents atteints de l’oubli (rares sont les films animés abordant la maladie d’Alzheimer même si l’on pense au magnifique Tête en l’air d’Ignacio Ferreras), la fameuse Hilda est un modèle à suivre.

Avec charme et gravité, Tante Hilda ! enfonce le clou de la pensée écologique et humaniste de Folimage. Troisième essai révélateur pour Jacques-Rémy Girerd qui signe peut-être ici son chef d’oeuvre (même si La Prophétie des grenouilles restera toujours LE premier essai long et concluant du studio).

Phantom Boy (2015) d’Alain Gagnol & Jean-Loup Felicioli

(c) Folimage

Dernier long-métrage en date venu du studio valentinois dans les salles obscures, Phantom Boy lie, comme toujours, un traitement apparemment enfantin à des sujets emplis de gravité. Ici, point d’écologie mais une réflexion sur la maladie et le quotidien à l’hôpital malheureusement vécu par de nombreux enfants à travers le monde. Déplaçant leur intrigue à New York, les scénaristes proposent un univers foncièrement différent des films ayant précédé et moins bucolique (le contexte urbain de la cité américaine s’y prête évidemment moins). A la barre d’un véritable polar, les réalisateurs Alain Gagnol & Jean-Loup Felicioli ne trahissent pas leur imaginaire et rendent, une fois encore, hommage aux films sombres du milieu du XXème siècle. L’esthétique mouvante s’accorde à merveille à l’enquête progressive du film et aux déplacements flottants du garçon fantôme tout en rappelant forcément la palette graphique d’Une vie de chat.

Sans naïveté, le film aborde les dangers de la modernité sans concession (et comme toujours, petits et grands s’y retrouveront grâce à un récit fascinant) : le terrorisme informatique ou encore le cancer. Finalement, le seul défaut du film est probablement celui de ressembler un peu trop au précédent essai des réalisateurs (intrigue policière, intervention d’un enfant et esthétique mouvante), le registre fantastique en prime. Il ne faudrait pas réduire la portée du long-métrage à ses ressemblances avec son aîné mais elles sont assez nombreuses pour être soulignées.

Fort de son classicisme narratif, Phantom Boy retranscrit une enquête dynamique qui gagne en saveur lorsque ses accents fantastiques prennent le dessus. Génératrice d’émotion parce qu’elle permet au héros de percer au jour les sentiments profonds de son entourage, la capacité « fantomatique » au coeur du récit est révélatrice.

Vous l’aurez compris, nous sommes en manque de longs-métrages signés Folimage mais cela nous laisse le temps de redécouvrir leurs œuvres précédentes. Preuve est de constater qu’elles vieillissent bien et qu’elles traversent les années en restant d’actualité parce qu’elles reposent sur des univers graphiques intemporels. Qu’il s’agisse des récits écologiques signés Jacques-Rémy Girerd ou des aventures policières du duo césarisé, ces œuvres sont profondément ancrées dans leurs époques tout en s’ouvrant à l’intemporalité. Des douceurs animées qui font du bien sur lesquelles nous pourrions écrire des pages et des pages mais cet article avait surtout vocation à faire revivre, au détour de quelques lignes, le savoir-faire charmeur d’un studio bien de chez nous. Cocorico !

Et vous, quel est votre long-métrage préféré parmi ces cinq films ?

Article rédigé par Nathan

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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