(Test Blu-ray) Bunuel, après l’âge d’or de Salvador Simo

Sorti en juin dernier sur nos écrans, Bunuel, après l’âge d’or est arrivé en vidéo en ce mois de décembre grâce à Eurozoom. L’occasion rêvée de le déposer sous le sapin et de le (re)découvrir avec plaisir tant il propose une aventure cinématographique aussi originale qu’émouvante. Se proposant de montrer l’envers du décor du film Terre sans pain de Luis Bunuel, cinéaste surréaliste qu’on ne présente plus, le long-métrage de Salvador Simo désarçonne autant qu’il peut se montrer frustrant.

Synopsis : Suite au scandale de la projection de L’âge d’or à Paris en 1930, Luis Buñuel se retrouve totalement déprimé et désargenté. Un ticket gagnant de loterie, acheté par son ami le sculpteur Ramon Acin, va changer le cours des choses et permettre à Buñuel de réaliser le film Terre sans painet de retrouver foi en son incroyable talent. 

(c) The Glow Animation Studio

Véritable scandale, L’âge d’or de Luis Bunuel marqua l’Histoire du cinéma et du surréalisme avec un film irrévérencieux qui coûta pourtant cher à son créateur. Ruiné et désavoué par la sphère artistique, l’espagnol dû s’allier à l’un de ses amis, Ramon Acin, pour créer son prochain long-métrage : un documentaire tragique sur le sort des Hurdes en Espagne. S’emparant de l’histoire d’un tournage chaotique pour toucher du doigt l’esprit du génie créatif, Salvador Simo rend hommage au réalisateur avec attention. Véritable « making-of » animé d’un film tourné il y a des années, Bunuel, après l’âge d’or est une proposition de cinéma aussi surprenante qu’efficace.

Mêlant intelligemment scènes fictionnalisées par le biais de l’animation et véritables images tournées par Bunuel pour son film, le long-métrage se propose de réfléchir aux limites réalistes des images tournées. Faut-il fidèlement représenter le réel ou peut-on choisir de trafiquer les images ? Réflexion sur le montage et sur l’art de faire dire aux images ce que l’on souhaite, le film de Simo prolonge les recherches formelles du surréaliste au cœur du récit sans pour autant parvenir à se hisser à son niveau. On pense notamment aux séquences oniriques qui rappellent les propositions surréalistes qui auraient pourtant mérité une plus grande folie. Finalement, Bunuel, après l’âge d’or demeure très académique.

(c) The Glow Animation Studio

En effet, si le propos du film touche parce qu’il réinvente la manière de faire du cinéma, l’apparat graphique est finalement assez simple (et les mouvements très saccadés des personnages le confirment). Fort heureusement, les graphismes 2D un peu minimalistes sont magnifiés par les éclairages subtils et la magnifique bande originale composée par Arturo Cardelus. Par ailleurs, la narration permet de revenir sur les penchants sadiques d’un réalisateur prêt à tout pour réfléchir aux rapports qu’entretient le vivant avec la mort. Les séquences de brutalité envers les animaux s’enchaînent (coqs, chèvres et ânes ne sont pas à la fête) et composent l’image d’un homme profondément affecté par l’insensibilité d’un père à l’origine des traumatismes.

Malgré tout, la fable demeure humaniste : on y retrouve une plongée dans le quotidien d’une fange misérable du pays espagnol. Mais là réside peut-être le plus grand défaut du film : sa multitude de fils narratifs et/ou psychologiques qui ont du mal à être développés comme il se doit en 1h10 de film. Entre le tournage du film, la relation de Luis Bunuel avec son ami producteur, le goût pour l’irrévérence du réalisateur (lorsqu’il s’habille en nonne), les conditions de vie dans les Hurdes, la relation conflictuelle avec son père et sa jalousie envers Salvador Dali : le propos est conséquent ! Le film aurait pu durer 2 heures qu’il aurait encore eu des choses à raconter mais n’oublions pas qu’une production animée est aussi dépendante d’un budget que l’on devine bien maigre.

En conclusion, Bunuel, après l’âge d’or est un film très original qui rend hommage avec affection à l’un des génies du surréalisme. A classer parmi les films animés réservés aux plus grands, ce long-métrage espagnol propose, et c’est assez rare pour le souligner, une réflexion sur l’art cinématographique. Narration méta et historique, le long-métrage de Salvador Simo n’est pas exempt de défauts mais saura convaincre les plus cinéphiles d’entre nous.

(c) The Glow Animation Studio

EDITION VIDEO

Le distributeur Eurozoom nous a fait parvenir l’édition Blu-ray du film (il est également disponible en DVD et coffret collector DVD/Blu-ray/livret), copie qui a été visionnée sur un écran OLED 4K.

Image & son : C’est une bonne copie, malgré l’apparat simpliste du film (la mise en scène est soignée mais l’animation a des limites visibles). Le crayonné y est très visible et la précision d’une édition haute-définition révèle sans détours les traits imparfaits des personnages composant le film. Quant aux couleurs, elles sont bien retranscrites même si l’ensemble reste assez terne pour correspondre aux exigences de l’équipe créative (Bunuel, après l’âge d’or est un film doux amer aux couleurs chaudes).

Du côté du son, deux pistes en version originale sous-titrée sont au rendez-vous pour découvrir le film dans de bonnes conditions puisqu’il mêle langue française et langue espagnole, au fil des déplacements du réalisateur Luis Bunuel (espagnol mais résidant français). Vous aurez le choix entre une piste haute-définition et une Dolby : DTS-HD Master Audio 5.1 ou 2.0. Un bel écrin sonore qui fait honneur à la magnifique partition d’Arturo Cardelus (qui n’est pas sans rappeler l’univers musical de Michael Galasso œuvrant pour Wong Kar Wai).

Interactivités :

  • Entretien avec Salvador Simo (27 minutes) : le réalisateur s’exprime en français pour partager ses intentions sur le film. Un bonus essentiel !
  • Making-of (10 minutes) : de la musique jusqu’aux graphismes, on en redemande ! Dix minutes, cela est trop peu pour revenir sur la création d’un film aussi riche.
  • Séquence work in progress (2 minutes) : du story-board à la sequence finalisée.
  • Enregistrement des voix (54 secondes) : trop court pour convaincre bien que l’idée soit intéressante.
  • Deux extraits de la bande originale mêlant images du film et images de l’orchestre ayant enregistré les partitions du film. Anecdotique ?

Même si l’édition vidéo est soignée, on ne peut que vous conseiller de prolonger ces bonus vidéos avec le livret inclus dans l’édition collector qui prendra assurément le temps de développer encore plus les choix créatifs faits sur ce film. Nous saluons d’ailleurs les efforts fournis par l’éditeur vidéo pour proposer une sortie vidéo de grande qualité !

Article rédigé par Nathan

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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