(Critique) La jeune fille et les paysans de DK Welchman & Hugh Welchman

« Il s’affaiblissait, il se courbait davantage vers la terre qui semblait le rappeler à elle » écrivait Emile Zola dans l’un de ses romans naturalistes dédiés aux paysans de son temps, une phrase qui semble pouvoir décrire à merveille l’une des séquences les plus sombres du nouveau film du couple Welchman (à la barre de l’hypnotique Passion Van Gogh). Un film qui met à l’honneur une campagne polonaise du XIXème siècle dans une adaptation touchant au sublime du roman Les paysans de Wladyslaw Reymont. Un nouveau projet qui se faisait attendre dans les salles françaises mais qui se révèle être la tragédie naturaliste espérée. Au gré d’une esthétique sidérante, d’une mécanique narrative inarrêtable mais aussi d’une bande-originale folklorique enivrante, La jeune fille et les paysans est l’évènement tant attendu du mois de mars ! 

Résumé : Au XIXe siècle, dans un village polonais en ébullition, la jeune Jagna, promise à un riche propriétaire terrien, se révolte. Elle prend son destin en main, rejette les traditions et bouleverse l’ordre établi. Commencent alors les saisons de la colère…

(c) The Jokers Films

Les premières images du film laissaient présager une nouvelle prouesse graphique, le résultat à l’écran dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer. La jeune fille et les paysans se déploie dans une esthétique magnétique et mouvante – on croirait presque voir des tableaux du XIXème siècle s’animer sous nos yeux – à l’image de la couronne végétale portée par Jagna lors de son union avec le plus riche veuf du village qu’elle ne désirait pas mais qui lui fait miroiter un bel avenir. Miroiter, le terme est judicieusement choisi puisque la mise en scène se joue constamment des atouts physiques de la protagoniste. Se reflétant régulièrement dans les miroirs disposés dans les pièces qu’elle visite, elle incarne la beauté convoitée par une majorité des êtres masculins du village et détestée par la gente féminine. A ce sujet, le titre français est méthodiquement choisi (c’est assez rare pour être souligné) puisqu’elle s’oppose rapidement au reste des personnages dans son combat contre un destin tout tracé. C’est aussi pour son goût pour l’art, en l’occurence du découpage de papier, qu’elle s’émancipe de ses concitoyens fermiers. 

Objet de convoitise autant que de rejet, Jagna catalyse toutes les rancoeurs, les rumeurs et les jugements de son village dans une histoire profondément tragique. Dans l’incapacité de fuir le destin qui lui est tracée, elle est retenue de son envol (les métaphores abondant au début du métrage, qu’il s’agisse du recueil d’une cigogne blessée ou d’oiseaux découpés) par les hommes de son entourage mais aussi par sa mère qui l’échange contre des terres agricoles, la jeune fille traverse les saisons jusqu’à un dénouement inévitable. L’eau diégétique d’une pluie battante fait alors écho à la peinture coulant de la toile… Les rouages tragiques à l’oeuvre dans le parcours existentiel de la jeune femme, mais aussi des personnages qui gravitent autour d’elle, prennent littéralement vie dans les scènes de liesse qui jalonnent le film. Rythmées par des danses folkloriques et des choeurs féminins propres à la Pologne de l’époque, ces séquences festives ou vengeresses incarnent le déterminisme des êtres. Peu surprenant alors que la caméra épouse le point de vue de Jagna lorsqu’elle passe d’un homme à l’autre au cours d’une danse endiablée le soir de son mariage… Aux mains du destin, cette jeune femme, préfigurée par une fleur dans la séquence introductive du long-métrage, lutte. 

(c) The Jokers Films

En faisant le choix d’ériger Jagna en protagoniste principal, le couple Welchman adapte intelligemment l’oeuvre-somme de Reymont (mille pages tout de même !) et décide de choisir un biais féministe pour raconter cette histoire de labeur et de combats quotidiens. Hanka, miroir antagoniste plus ancré dans l’agriculture de Jagna, en est l’incarnation la plus frappante et les paysans du film ne cessent de lutter contre les affres de la destinée pour maintenir à flots leurs cultures. Des cultures ancrées dans les esprits et les corps, le personnage de Boryna, le vieux mari de Jagna, étant hanté par son travail (« Il s’affaiblissait, il se courbait davantage vers la terre qui semblait le rappeler à elle »…) La jeune fille et les paysans est un regard sur le XIXème siècle polonais tout autant qu’une célébration de ceux qui tentent d’échapper aux filets du destin. Jagna y échappe-t-elle ? L’ultime séquence, d’une force indéniable, y répond. Même si l’aridité des sentiments de ces personnages rend parfois difficile l’identification, on ne peut qu’être emporté par ces désirs qui s’entrechoquent.

En somme, La jeune fille et les paysans immisce la noble tragédie dans une paysannerie cathartique. Se faisant succéder les tableaux de maître à l’écran, le nouveau film du duo créatif Welchman troque l’impressionnisme de La Passion Van Gogh contre un naturalisme envoutant. Autant vous dire que vous auriez complètement torts de passer à côté de cette contemplation cinématographique à expérimenter sur grand écran pour en savourer toutes les richesses.

(c) The Jokers Films

En salles le 20 mars via The Jokers

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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