(Critique) Marcel le coquillage (avec ses chaussures) de Dean Fleischer-Camp

Le voilà enfin ! Après une sortie l’année dernière sur son territoire national, Marcel le coquillage (avec ses chaussures) entame son périple français pour le plus grand bonheur d’un public que j’espère le plus grand possible. Avec ce premier long-métrage hybride (mêlant prises de vues réelles et stop-motion), Dean Fleischer-Camp honore la série de vidéos numériques qui l’a rendu célèbre tout en portant un regard distancié sur ce succès surprise. Mieux encore, il impose avec éclat un magnifique personnage de fiction qui cache, derrière une apparente naïveté due à l’enfance, un magnifique regard sur le monde. Rares sont les films qui s’adressent à tous, Marcel le coquillage (avec ses chaussures) y parvient avec splendeur.

Résumé : Marcel est un adorable coquillage qui vit seul avec sa grand-mère Connie, depuis sa séparation avec le reste de leur communauté. Lorsqu’un réalisateur de documentaires les découvre dans son Airbnb, la vidéo qu’il met en ligne devient virale et offre à Marcel un nouvel espoir de retrouver sa famille.

(c) L’Atelier Distribution

Tout commence par un flou qui s’estompe progressivement pour nous permettre de pénétrer l’intérieur d’une maison dépeuplée. C’est alors qu’une balle de tennis se met en mouvement et que les premières notes de l’envoutante bande originale nous embarquent dans une histoire à l’émotion vive. Porté par le hors-champ, le long-métrage nous propose la rencontre de Marcel et de son créateur-ami dans un docu-fiction reprenant les codes du genre (des prises de vue faussement hésitantes aux échanges réalisateur-acteur construisant le discours désiré par le film). La rencontre entre ces deux êtres dans un logement loué sur Airbnb (on ne peut faire plus contemporain !) est une porte ouverte sur des questionnements essentiels, les deux protagonistes s’opposant sur presque tout. L’être de fiction qu’est Dean Fleischer-Camp invite le coquillage à découvrir le monde qu’il habite, s’amusant de ses remarques innocentes sur les choses simples avant d’en comprendre les troublantes vérités.

La spontanéité de Marcel enchante parce qu’elle offre un regard distancié (et critique, en certains aspects) sur notre art de vivre. Ici, un couple se déchire et sépare inconsciemment une famille de coquillages. Là, une approche émouvante du temps qui passe lorsque Marcel constate la perte d’autonomie de sa grand-mère. Les maladresses de ce personnage si attachant prennent des accents philosophiques qui poussent à réfléchir le public (« Devine pourquoi je souris tout le temps ? demande-t-il à Dean avant d’affirmer qu’il agit seulement ainsi « parce que c’est plus sympa. ») C’est aussi dans son rapport affectif à sa grand-mère, unique rescapée de la disparition de sa famille, que le jeune coquillage s’élève puisqu’elle lui enseigne l’art du courage à l’aune d’une interview télévisée avec une présentatrice qu’ils révèrent. Surgissent alors les tragédies de l’existence, liant les plus grands bonheurs aux épreuves les plus rudes.

(c) L’Atelier Distribution

La prouesse du long-métrage ne s’arrête pas là et la beauté simple délivrée par l’histoire se colore d’une satire de nos pratiques numériques et sociales. Notre usage des réseaux sociaux, mis en abime par le scénario, réinvente la propre expérience du réalisateur (et le succès de sa série présentant le coquillage à ses abonnés sur les réseaux) pour vanter les bienfaits du communautarisme. Marcel s’enthousiasme de la magie des réseaux qui permet de regarder la même chose au même moment, peu importe l’endroit. Et c’est finalement le message porté par ce projet si atypique : le tout, est « d’être connecté avec ce qui nous entoure ». Lourd de sens tout en proposant des séquences et des sursauts narratifs à la légèreté bienveillante, Marcel le coquillage (avec ses chaussures) est superbement touchant sans jamais se départir d’un sens du rythme comique qui fait mouche. Aux plans contemplatifs sur les recoins de la maison louée au montage ciselé qui n’hésite pas à recourir aux coupes brutales pour renforcer la comédie (à l’image de la première sortie de la maison de Marcel), la réalisation est un enchantement permanent, entre le film d’auteur et la comédie touchante.

(c) L’Atelier Distribution

En somme, Marcel le coquillage (avec ses chaussures) est une magnifique leçon de vie qui fend le coeur sans jamais omettre la bonhomie des messages qu’il porte. Fort de ses personnages animés par une innocence déchirante et de son système narratif astucieux, il fait de son apparente simplicité une force dévastatrice. Petit personnage, grandes émotions !

Sortie française le 14 juin 2023 via L’Atelier Distribution.

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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