(Critique) My love affair with marriage de Signe Baumane

A l’approche de la nouvelle édition du Festival d’animation d’Annecy, les distributeurs mettent en lumière les films sélectionnés l’an passé qui ne sont pas encore sortis en salles. Il en va ainsi de L’île d’Anca Damian mais aussi du second long-métrage de Signe Baumane, réalisatrice ayant travaillé avec Bill Plympton, qui sortent tous deux le 7 juin en salles françaises. Le jury du festival ne s’était pas trompé en accordant une mention à My love affair with marriage car il propose une expérience cinématographique à mi-chemin entre le documentaire pédagogique, le souvenir autobiographique et la tragédie grecque. C’est aussi drôle qu’engagé !

Résumé : Dès son plus jeune âge, Zelma a été persuadée par les chansons et les contes de fées que l’Amour résoudrait tous ses problèmes, pour peu que sa conduite soit conforme à ce que la société attend d’une jeune fille. Mais à mesure qu’elle grandit, plus elle essaie de rentrer dans le moule, plus son corps entre en résistance…

(c) Tamasa Distribution

Chapitré, le second film de Signe Baumane parcourt les trente premières années de Zelma qui pense s’accomplir dans le mariage à cause de valeurs rabâchées à outrance par une société patriarcale et marquée par l’ombre d’une URSS puissante. Lorsqu’elle quitte le nid familial, un choeur de sirènes antiques la rappelle toujours à l’ordre si elle s’éloigne du chemin imposé par la société. Un choeur tragique qui rythme le métrage de ses chants dynamiques et qui contraste avec le pragmatisme d’une biologie personnifiée dans des séquences mettant en scène les réactions biologiques de la protagoniste. C’est l’opposition nette entre l’alchimie interne d’une femme et les impératifs d’une société qui est contée dans My love affaire with marriage. Dans une dimension plus pédagogique qui prend presque des airs de cours de SVT, le personnage sobrement nommé Biologie revient sur les étapes essentielles de la vie (physique et psychologique) d’une femme. Ce que le récit impose en schéma répétitif (à l’image des innombrables scènes dans le cerveau des protagonistes), il le contrebalance par une esthétique foisonnante.

Film hybride sur le plan narratif (entre récit d’apprentissage et critique acerbe des sociétés restreignant la véritable nature des ses citoyens), il l’est aussi sur le plan graphique avec un usage certain des techniques artisanales. Papier mâché, dessin en 2D, incrustations : ces différentes pratiques mettent alors en image les différentes strates qui composent nos vies, Zelma devant composer avec les impératifs édictées par sa famille et ses véritables désirs psychiques. Cette esthétique pléthorique ne surprend guère les premiers spectateurs de son imaginaire car on retrouve inévitablement le fourmillement graphique de son premier long sorti en 2014 (Rocks in my pockets). La métamorphose guide aussi les personnages qui se muent à l’écran, Zelma s’imaginant tour à tour chat féroce ou monstre repoussant (lorsque son mari la découvre nue). Mais ce sont aussi les rapprochements entre les personnages qui inaugurent de nouvelles métamorphoses ou associations, la jeune femme se mêlant au corps de celui qui lui fait perdre sa virginité à l’écran.

(c) Tamasa Distribution

La dimension autobiographique du film impose une voix off omniprésente qui exacerbe les multiples questionnements d’une jeune femme tiraillée entre ce que l’on attend d’elle et ce que son corps exige. Mais cette voix off est aussi l’occasion d’introduire un humour débordant qui contraste toujours avec l’austérité apparente des couleurs froides de la mise en scène. La peur d’être une femme et de composer avec les impératifs de la société est au coeur du propos, mais elle est vivifiée par une ironie riche de sens. On pense alors au défilé de cercueils qui suit la mort d’une de ses amies en donnant naissance. Le monde traversé par l’héroïne est d’une violence inouïe (son amie était rejetée par sa propre mère après la perte de sa virginité hors-mariage) mais son regard optimiste, notamment en l’institution martiale, est enthousiasmant. On passe du rire à l’affliction au gré d’une histoire balisée (le parcours d’une jeunesse en construction) mais férocement satirique, à l’image d’un défilé de cercueils qui suit la mort d’une de ses amies en donnant naissance. Signe Baumane, par le biais de son personnage autofictionnel, dresse un constat désolant de la condition féminine. C’est finalement en prenant la tête du trio de sirènes tragiques que Zelma prend les rênes de sa vie, mais aussi en prenant conscience que l’emballement marital n’est plus de mise !

(c) Tamasa Distribution

Véritable curiosité aux graphismes atypiques, My love affaire with marriage est une passionnante mise en image d’une femme tiraillée entre ses réactions biologiques et les contraintes sociales qui lui sont imposées depuis sa tendre enfance. Pédagogique, hétéroclite et particulièrement drôle, le film de Signe Baumane se ligue avec un humour bien à lui contre les sociétés patriarcales étouffant la véritable nature des femmes (et des hommes, dans une moindre mesure).

Rendez-vous en salles ce mercredi via Tamasa Distribution.

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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