(Critique) Princesse Dragon de Jean-Jacques Denis & Anthony Roux

Que l’on aime voir l’animation française oser se lancer dans des entreprises originales et artisanales pour ravir un public adepte de fééries traditionnelles. Si l’on connaît surtout la société Ankama pour son jeu de rôle Dofus et ses dérivés (sériels et cinématographiques), elle nous offre en cette année 2021 un hymne écologique aux charmes enivrants en 2D traditionnelle. Sur un postulat peu original (l’opposition entre la civilisation et la sauvagerie), l’équipe créative nous invite à découvrir une aventure modestement féérique qui touche surtout par sa sincérité juvénile.

Résumé: Poil est une petite fille élevée par un puissant dragon. Mais lorsque son père doit payer la Sorcenouille de son deuxième bien le plus précieux, c’est Poil qu’il offre, plongeant sa fille dans une infinie tristesse et l’obligeant à fuir la grotte familiale. Poil se lance alors dans un voyage à la découverte du monde des hommes. À leur contact, elle apprendra l’amitié, la solidarité, mais aussi la cupidité qui semble ronger le cœur des hommes.

(c) Ankama / Gebeka Films

Bâtie autour d’un mythe vieux comme le monde, celui de l’enfant sauvage, Princesse Dragon est une merveille (au sens premier du terme, celui de chose étonnante) de sincérité et de créativité graphique. Conte écologique et féérique dans une contrée médiévale typique (châteaux et tapisseries sont au rendez-vous), le film de Jean-Jacques Denis & Anthony Roux compense son originalité modeste (l’intrigue repose finalement sur des ressorts convenus avec la confrontation de deux visions du monde) par un ton poétique des plus touchants. Poil, jeune dragonne anthropomorphe, se lie inévitablement d’amitié avec une princesse civilisée pour questionner des rapports au monde opposés. Véritable film de fantasy pour enfants, la production Ankama ne joue pas les gros bras, préférant plutôt une singularité de propos pour convaincre. Ce n’est pas sans rappeler la justesse sincère de certaines productions des studios Ghibli.

Autour d’une intrigue resserrée (le besoin d’émancipation de Princesse, la jeune civilisée, et la curiosité de Poil, la jeune sauvage), le film tisse une aventure émouvante au climax armé modeste. En faisant le choix d’une galerie de personnages restreinte et de décors comptés sur le doigt d’une main, les scénaristes choisissent d’approfondir en priorité les rapports entre les personnages. Ode à la singularité et à la famille, Princesse Dragon convoque des références inévitables, du dragon dormant sur une montagne d’or tout droit sorti du Hobbit de Tolkien ou des personnages poétiques rappelant agréablement certaines productions nippones. Bercé d’influences, le long-métrage français est une célébration de la nature sous toutes ses formes grâce à des plans ravissants sur la faune et la flore mais également un sous-texte en forme de plaidoyer anti-chasse.

(c) Ankama / Gebeka Films

L’irritant prince Albert, destiné à épouser la princesse, se pâme en détaillant ses prises de chasse dont les murs du château sont recouverts, mais les choix cinématographiques se moquent allègrement de lui (qu’il s’agisse de son character design – grandes jambes pour un petit buste ramassé – ou de ses répliques naïves). Plus mutique, le monde animal communique par télépathie. A l’image du joli titre musical plein de douceur (« Vers la lumière ») entonné par l’artiste Pomme au cours d’une séquence de préparation armée, le film use de contrepieds poétiques pour structurer son conte écologique érigé contre la cupidité de l’Humanité. Sans réduire le genre humain à sa vilénie puisque la mère de princesse est elle-même victime de l’avarice des Hommes, le récit injecte des ingrédients magiques avec parcimonie. Force de la nature, la sorcenouille (sorcière à tête de grenouille) impacte grandement le récit sans apparaître souvent à l’écran : preuve, s’il en fallait une, que le monde tourne au-delà des Hommes.

C’est aussi sur le plan graphique que le film est une réussite. Auréolé d’une animation 2D aux contours parfois esquissés, le long-métrage est simple mais plein de charme, et ce, même si le character design n’est pas le plus inventif qui soit. La jeune Poil tire évidemment son épingle du jeu avec l’irrévérence psychologique et physique qui la caractérise. A vrai dire, les menus défauts du film résident dans sa courte durée (difficile de construire un univers pleinement satisfaisant en seulement 70 minutes) et l’animation un peu rigide du dragon.

Vous l’aurez compris, Princesse Dragon est une petite merveille made in France qui use de sa simplicité pour nous émouvoir. Si sa force n’est pas à retrouver du côté d’un scénario un peu déjà-vu, le film signe une réflexion essentielle sur l’état du monde au contact des Hommes. Mis en scène avec soin et poésie, le premier film totalement original d’Ankama est un délicieux moment à partager en famille en cette fin d’année. On tient là l’une des propositions les plus charmantes de cette année.

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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