(Critique) Icare de Carlo Vogele

Après un bon mois d’absence pour un projet qui vous sera révélé en temps voulu, me voici de retour sur FOA pour célébrer l’arrivée en salles d’une oeuvre aux nombreux charmes distribuée par Bac Films. Vous connaissez probablement tous l’histoire d’Icare, un jeune homme caractéristique de la mythologie grecque qui s’éprend des airs et succombe à ses ambitions libératrices, mais le premier long-métrage de Carlo Vogele (qui a tout de même officié pour les studios Pixar par le passé en tant qu’animateur) n’en fait qu’une infime partie de son oeuvre tragique. Réussite hybride, entre décors peints à l’onirisme fascinant et modélisation 3D des personnages, le long-métrage possède une force incroyable : son universalité.

Résumé : Sur l’île de Crète, chaque recoin est un terrain de jeu pour Icare, le fils du grand inventeur Dédale. Lors d’une exploration près du palais de Cnossos, le petit garçon fait une étrange découverte : un enfant à tête de taureau y est enfermé sur l’ordre du roi Minos. En secret de son père, Icare va pourtant se lier d’amitié avec le jeune minotaure nommé Astérion. Mais le destin bascule quand ce dernier est emmené dans un labyrinthe. Icare pourra-t-il sauver son ami et changer le cours d’une histoire écrite par les dieux ?

(c) Bac Films

Entre une palette de personnages passionnants et un univers mythologique des plus inspirants, le scénario d’Icare prend rapidement son envol et conquiert tous les publics sans en privilégier un seul. Les plus jeunes s’identifieront aisément à l’espièglerie du jeune personnage principal et sa relation fraternelle avec le pauvre Astérion (le célèbre minotaure du labyrinthe de Dédale !) tandis que les plus grands s’éprendront davantage des figures tragiques que sont la reine Pasiphaé ou le héros Thésée. Tout en racontant une histoire vieille comme le monde, l’équipe créative célèbre les ressources inépuisables de l’animation en proposant parfois des séquences inventives sur le plan graphique (a l’image du fameux combat de Thésée contre le Minotaure, retranscrit dans une esthétique proche du fusain, qui fend le coeur après tant d’attaches envers la bête qui n’en est plus une aux yeux des spectateurs).

Effectivement, les scénaristes font le choix de voir ce qui se cache derrière les apparences et révèlent de nouvelles émotions au contact d’histoires bien connues : le Minotaure n’est alors plus ce monstre sanguinaire réduit à une quête pour le héros épique mais un être fait de sentiments et de regrets qui communique avec Icare par la pensée. En s’attachant aux personnages, on craint alors l’inévitable issue de leurs destins que le scénario parvient à respecter sans nous foudroyer de tristesse. Dans un élan poétique fait d’implicites, le récit s’achève avec force. « L’idée était de sublimer le tragique, adoucir la destinée, lui donner du sens, et ne pas avoir de « méchants ». Si la poésie transpire malgré tout, alors l’équilibre est atteint. » m’a sincèrement souligné la co-scénariste du film, Isabelle Andrivet pour qualifier le dénouement poétiquement tragique du film. Dans sa manière de traiter la cruauté du monde (dont le jeune Icare veut s’éloigner), le film évoque avec parcimonie le cinéma de Michel Ocelot (qui, lui aussi, avait réalisé une adaptation du mythe d’Icare en l’affublant d’un dénouement édulcoré dans la série Ciné Si en 1989).

(c) Bac Films

Les deux personnages principaux (Icare et Astérion) sont entourés de figures mythologiques fascinantes telles que la reine Pasiphaé qui incarne à elle seule toute la portée tragique du récit. Femme de Minos et mère infortunée, elle doit composer avec ses malédictions : au fil de l’enquête du jeune Icare cherchant à comprendre le passé de son nouvel ami à cornes, la tragédie se renforce et les personnages gagnent en épaisseur. Icare est un récit parsemé de flash-backs qui unifient la narration qui était morcelée jusque-là. Si l’amitié fraternelle d’Icare et du Minotaure relève de l’invention, le mythe originel n’est jamais trahi par un scénario architecturé avec précision. Le film est d’autant plus touchant qu’il profite de décors peints qui magnifient la Crête antique même si le bât blesse davantage sur l’animation 3D un peu rigide de certains personnages. En outre, le character design est éloquent et rappelle les traits des bandes dessinées tandis que la musique aux accents baroques surprend en s’éloignant des conventions du genre. Fougueuse, elle dynamise l’aventure des personnages.

Enfin, il serait difficile de ne pas mentionner la qualité du casting vocal qui sert brillamment les beaux personnages rencontrés. Dédale est notamment doublé par une voix reconnaissable : Féodor Atkine (la voix de Jafar d’Aladdin en VF tout de même) tandis qu’Ariane est portée par la voix de Camille Cottin qui sied parfaitement à l’insolence du personnage. En ne prenant jamais son public pour des imbéciles, Icare touche au coeur et transmet l’un des mythes les plus célèbres. Les adaptes de mythologie apprécieront voir l’histoire d’Icare et celle du Minotaure s’entremêler avec émotion tandis que les néophytes découvriront une histoire fondatrice aux échos humanistes troublants.

(c) Bac Films

Icare est une réussite parce qu’il prend à bras le corps un mythe fondateur en le réinterprétant avec une justesse touchante. Jamais la tragédie des destinées contées n’est voilée mais le film n’en demeure pas moins une bouffée d’air frais graphique et musicale qui trouvera, je l’espère, le public qu’il mérite. Au coeur d’un récit labyrinthique, le fil d’Ariane qu’est l’émotion vive nous guide jusqu’à l’envol poétique.

Rendez-vous le 30 mars en salles via Bac Films.

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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